samedi 20 décembre 2008

たち -tati [-tachi]

 Pourquoi les Japonais ont-ils perdu la guerre contre les Américains?
 La réponse est claire et simple: C'est parce qu'il n'y a pas de "pluriel" dans la langue japonaise! C'est une langue arriérée!
 Les profs répétaient cette histoire dans les écoles. Pendant la guerre, l'alarme au bombardement disait 敵機来襲! 敵機来襲! (Tekki raïsyû [raïshû]! Attaque d'avion ennemi!) Comment aurait-on su le nombre d'avions comme ça? N'y a-t-il qu'un bombardier qui arrive ou y en a-t-il plusieurs qui viennent? On ne l'a jamais su! C'est la raison de notre défaite! Ouais, c'est vraiment trop évident...
 Ainsi, le complexe infantile sur le manque de distinction singulier-pluriel est-il incrusté dans la tête des Japonais d'après-guerre. Certains s'aperçoivent du ridicule, mais d'autres pas du tout. Ceux-ci sont complètement inconscients de ce problème, et ils sont probablement beaucoup plus nombreux que les gens qui ont l'aversion à l'abus du suffixe -tachi, le moyen efficace pour faire la forme du pluriel selon ces Nouveaux Japonais, qui ne comprennent d'ailleurs pas que ce suffixe ne serve pas du tout à montrer la différence entre deux bombaridiers et cent bombardiers. 敵機たち来襲! (Tekki-tati raïsyû [Tekki-tachi raïshû], attaque des avions ennemis!) ne ferait que rire... C'est du japonais américanisant... (Malheureusement, les Japonais ont perdu la guerre contre les Américains. Si ç'avait été avec les Français, on aurait pas entendu la différence entre le singulier et le pluriel, à moins qu'on n'ait été attaqué par les chevaux.)
 Je n'ai jamais fait la recherche là-dessus, mais je suppose que ces gens-là prononcent -wo pour la particule を (-o), tellement qu'ils veulent angliciser (voire américaniser) le japonais. Si la langue japonaise ne montre généralement pas la distinction entre le singulier et le pluriel, ce n'est ni un manque ni un défaut par rapport à l'anglais...
 Pour moi, ce sont les deux grands phénomènes qui sont vraiment lamentables concernant la langue japonaise d'après-guerre: l'abus de -tachi et la prononciation -wo. C'est du japonais franchement laid. Quant à l'expression comme 彼女たち (kanozyo-tati [kanojo-tachi]), je peux la tolérer tant qu'elle reste dans la classe pour la "version" (pour les nippophones). Mais ce n'est pas du japonais standard! Bon, la langue évolue (ou s'altère...)
 Je pourrais accepter -tachi ajouté aux personnes à la rigueur. Mais c'est quoi, ces mots-ci? 雲たち (kumo-tati [kumo-tachi], nuages)、鳥たち (tori-tati [tori-tachi], oiseaux)、犬たち (inu-tati [inu-tachi], chiens)、歌たち (uta-tati [uta-tachi], chansons) 、ことばたち(kotoba-tati [kotoba-tachi], mots)... Ce sont des exemples ridicules et stupides qu'il ne faut pas imiter. En plus, certains les trouvent poétiques, c'est exagéré! Les cas les plus graves sont uta-tati [uta-tachi] et kotoba-tati [kotoba-tachi], car ce sont des être inanimés, et abstraits en plus. Si vous voulez faire absolument comme les Japonais contemporains, vous pouvez imiter jusqu'à 鳥たち、犬たち, mais jamais 歌たち!
 Il est vrai que MURANO Sirô [Shirô] (1901-1975), le grand poète qui représente le mouvement du "modernisme" littéraire, ait écrit un poème intitulé 雲たちの衣裳 (Kumo-tati-no isyô [Kumo-tachi-no ishô], Les Habits des nuages), mais c'était une métaphore anthropomorphique. Elle peut être poétique dans la mesure qu'on voit les êtres animés dans les nuages (pourtant, je trouve cette expression peu heureuse de toute façon). Par contre, l'exemple de TAKIGUTI Syûzô [TAKIGUCHI Shûzô] (1903-1979), poète-artiste qui a beaucoup d'admirateurs mais que je n'apprécie pas du tout, a fait l'expression 苦しむ鳥たち (Kurusimu tori-tati [Kurushimu tori-tachi], Oiseaux souffrants), et c'est bien le début de l'abus soi-disant poétique! Ce suffixe n'a pas du tout sa place ici. (Il est possible que mon jugement soit partial.)
 Vous pouvez mettre le suffixe -tati [-tachi] au mot seulement quand il est indispensable. Par exemple, il faut faire la distinction entre 私 (watasi [watashi], moi) et 私たち (watasi-tati [watashi-tachi], nous). Mais on peut dire également 我々 (waréwaré) ou 私ら (watasi-ra [watashi-ra]) pour dire "nous"...
 Là, je m'adresse aux francophones qui maîtrisent très bien le japonais: Il vaut mieux que vous vous demandiez chaque fois si le suffixe -tati [-tachi] est vraiment nécessaire pour éviter la confusion. Dans la plupart des cas, -tati [-tachi] n'est qu'un ajout grotesque à mon avis.
 L'emploi de ce suffixe -tati [-tachi] était originairement réservé pour montrer le respect aux nobles.  Les personnes nées jusque dans les 1920 ont appris à l'école qu'il ne fallait pas mettre -tati [-tachi] si le respect s'avérait déplacé. Par conséquent, il fallait dire 私ら (watasi-ra [watashi-ra]) ou 私ども (wata[ku]si-domo [wata[ku]shi-domo]) au lieu de 私たち (watasi-tati [watashi-tachi]). Même maintenant, quand on veut se montrer modestes (pour parler aux clients par exemple), on ne dit guère watasi-tati [watashi-tachi], mais watakusi-domo [watakushi-domo]. (Je me demande parfois si la méthode de japonais est là pour piéger les non Japonais qui veulent apprendre cette langue...)
 Pour Le Grand Dictionnaire Japonais de Syôgakukan [Shôgakukan] (en 20 tomes, rien à voir avec Le Shôgakukan-Robert), le premier emploi de ce suffixe est pour "dieux, empereurs et nobles". Ensuite, la valeur a dégradé pour montrer le respect léger. Et enfin, le troisième emploi est dénué de respect, ce qui permet les expressions comme watasi-tati [watashi-tachi] ou kimi-tati [kimi-tachi] (vous). Le mot tomo-dati [tomo-dachi] (ami), qui n'est pas considéré comme le pluriel, peut être mis dans cette catégorie. Le Grand Syôgakukan [Shôgakukan] accepte l'anthropomorphisation des animaux. Mais d'autres emplois sont toujours fautifs.
 J'admets que je parle comme un puriste. Mais je crois que les non Japonais doivent apprendre le japonais plus ou moins puriste. D'ailleurs, vous n'avez aucun besoin de parler expressément le japonais qui énerve les personnes âgées. Mais contradictoirement, dans la situation actuelle où il n'y a pas encore de bonnes méthodes pour apprendre cette langue, il est très difficile de comprendre ce que c'est que le bon japonais. Il faut impérativement recourir à ce maudit suffixe quand vous faites le "thème" (pour les francophones). Mais vous devez savoir que l'emploi systématique de -tachi n'est pas dans le registre du japonais normal.
 Je cite un exemple. Il vaut mieux éviter de dire 彼女たち kanojo-tachi, si vous voulez parlez le bon japonais. Déjà, l'emploi des "pronoms" comme 彼 karé et 彼女 kanozyo [kanojo] n'est pas vraiment normal, à part dans la traduction ou pour dire "petit(e) ami(e)" comme un mot familier. Si on remplace ce mot par 女の子 onna-no-ko (jeunes filles), vous n'avez pas besoin de mettre -tati [-tachi] dans la plupart des cas, à moins que vous ne teniez à préciser que c'est le pluriel. Pour le mot comme 女子学生 zyosi-gakusei [joshi-gakusei] (étudiantes), franchement, je ne vois aucune nécessité d'ajouter -tati [-tachi], mais j'entends zyosi-gakusei-tati [joshi-gakusei-tachi] même dans les émissions de NHK, là où il est déplacé de souligner le nombre. C'est consternant pour moi, mais je dois dire qu'une bonne partie des Japonais n'y voit plus aucun problème. En tout cas, j'ai raison de le souligner, car un bon prof de français ne dit jamais à ses élèves non francophones que la capitale de la Belgique est "Brukselles", même si 90% des Français prononcent ainsi.

mardi 9 décembre 2008

なかなか nakanaka

 Certains adverbes japonais n'ont pas d'équivalents français. なかなか nakanaka en est un. Je trouve ces exemples dans mon dictionnaire japonais-français, qui ne donne d'ailleurs pas la définition du mot en français.
今年はなかなか寒い。Kotosi-wa [Kotoshi-wa] nakanaka samui. Il fait bien froid cette année.
そこへ行くにはなかなか時間がかかる。Soko-é yuku-ni-wa nakanaka zikan-ga [jikan-ga] kakaru. Il faut assez de temps pour y aller.
彼はなかなか笑わない。Karé-wa nakanaka warawa-naï. Il rit rarement.
 Comme la dernière phrase est une négation, on pourrait la traduire: Il ne rit pas assez souvent. Ainsi, le mot voudrait dire "assez", "bien" ou "assez bien (souvent)". Ces traductions sont tout à fait correctes, mais insuffisantes pour comprendre cet adverbe.
 Ce mot signifie en réalité "contrairement à l'attente (plus ou moins prolongée)". Par exemple, le chanteur de ma région MIKAMI Kan, qui est connu pour ses textes singuliers, a une chanson intitulée "Nakanaka" dans son répertoire. Il chante この牛丼はなかなかだ Kono gyûdon-wa nakanaka-da. Le gyûdon (grand bol au boeuf) est un plat traditionnellement servi dans le sobaya (restaurant de nouilles), mais il est maintenant considéré comme un plat représentant le fast-food japonais.

 La chaîne de franchise Yosinoya [Yoshinoya], qui a ses magasins partout dans le Japon, ne propose que ce plat. Il n'est pas du tout cher, mais plutôt copieux. En revanche, on ne s'attend pas à la bonne qualité. Par conséquent, "Kono gyûdon-wa nakanaka-da" veut dire "Pour un gyûdon, celui-ci n'est pas mauvais".
 Vous pouvez dire あなたの料理はなかなかおいしい Anata-no ryôri-wa nakanaka oïsii [oïshii] (Vous êtes bon cuisinier contre l'attente) sans choquer, dans un certain contexte. C'est le cas où cette personne vous aurait prévenu qu'elle n'était pas bon cuisinier, par modestie ou non. (Je dois dire que ce n'est pas un franc compliment non plus.)
 On doit tenir compte de l'idée de cet adverbe pour comprendre l'emploi "irrégulier" du mot 全然 zenzen.
 J'ai lu dans un livre de MARUYA Saïichi, le romancier qui a traduit L'Ulysse de James Joyce en japonais et un défenseur de l'ancienne orthographe, cette acecdote amusante. MISIMA [MISHIMA] Yukio et ITÔ [ITOH] Sei, le romancier qui a été accusé d'attentat à la pudeur pour la traduction de Lady Chatterley, ont participé à un colloque de la littérature japonaise. Un Américain s'est abordé à eux dans un café, et il leur a lancé ces mots: "Je n'admettrai jamais vos écrits, parce que vous utilisez le mot zenzen qui n'est pas suivi de négation!".
 全然 zenzen est un adverbe qui doit toujours être suivi de négation (ou de jugement négtatif) selon la grammaire. Il veut dire "nullement", "aucunement". Mais, désolé pour ce spécialiste américain de la littérature japonaise, même Sôséki et Akutagawa ont utilisé zenzen qui n'est pas suivi de négation! Malheur! Dans cet emploi toujours considéré comme fautif par la plupart de des Japonais, l'adverbe porte un jugement positif. Par exemple:
この小説は全然おもしろいよ。Kono syôsétu-wa [shôsétsu-wa] zenzen omosiroï-yo [omoshiroï-yo]. Ce roman est très intéressant. (Familier)
 L'interlocuteur s'attend à la négation この小説は全然おもしろくない Kono syôsétu-wa [shôsétsu-wa] zenzen omosiroku-naï [omoshiroku-naï] (Ce roman n'est pas du tout intéressant) à cause de zenzen qu'il vient d'entendre, mais le mot naï n'apparaît pas à la fin de la phrase, contrairement à ce qu'il attendait. (Dans ce cas-là, on ne peut utiliser nakanaka, car l'attente est de très courte durée.) C'est pour cela que cet emploi familier fâche souvent les gens. Mais certains linguistes "progressistes" expliquent ainsi. Même dans cet emploi familier, il y a un motif de la négation. Comme pour le mot nakanaka, le locuteur imaginait que ce roman n'était pas intéressant. Mais nakanaka ne peut donner qu'un jugement modéré. この小説はなかなかおもしろいよ Kono syôsétu-wa [shôsétsu-wa] nakanaka omosiroï-yo [omoshiroï-yo] veut dire "Contrairement à ce que j'imaginais (ou à ce qu'on disait), ce roman est assez intéressant." Le recours au mot zenzen signifie que cette mauvaise attente a été trahie d'une façon tout à fait inattendue, jusqu'à tel point que le locuteur prononce la phrase qui heurte même le bon sens de l'interlocuteur qui s'attend au jugement négatif à cause du mot zenzen. Selon cette hypothèse, la phrase この小説は全然おもしろいよ Kono syôsétu-wa [shôsétsu-wa] zenzen omosiroï-yo [omoshiroï-yo] peut être l'abbréviation acrobatique de この小説は全然おもしろくないかと思っていたのに、とてもおもしろいよ Kono syôsétu-wa [shôsétsu-wa] zenzen omosiroku-naï-ka-to [omoshiroku-naï-ka-to] omot-té-i-ta-no-ni, totémo omosiroï-yo [omoshiroï-yo] (J'imaginais que ce roman n'était pas du tout intéressant, mais il est très intéressant par contre).
 Quant à la phrase 全然OK Zenzen okkê (Tout à fait d'accord), la nuance qu'elle porte peut être ainsi: "Tu penses peut-être que je ne suis pas d'accord, mais surprise! je suis d'accord!".
 En tout cas, si vous êtes francophone parlant japonais, vous n'êtes pas censé imiter ces mauvais exemples, volontairement provocateurs, qui énervent très souvent les gens. Je comprendrais plutôt cet Américain qui a jeté l'anathème à Misima [Mishima] et à Itô [Itoh], si cet emploi n'était pas aussi répandu. Il est cependant toujours grammaticalement incorrect, et il tire sa force de cette irrégularité.

ね -né

 Une fois, un professeur roumain ou bulgare, je ne me souviens plus, a donné le cours comme un invité à la fac de lettres. Il a dit qu'il a entendu dire que l'opposition sujet-objet n'existait pas en japonais, mais qu'elle était remplacée par celle de connu-inconnu. Il voulait peut-être une réponse de ma part, mais je ne savais quoi répondre.
 Maintenant, je peux dire que c'est une thèse du mathématicien MIKAMI Akira, incompris par les linguistes contemporains et mort dans la folie et la pauvreté. Sa théorie n'est toujours pas adoptée par le manuel scolaire, mais beaucoup de gens croient à présent qu'il avait raison de dire qu'il n'y avait pas de "sujet" (主語 syugo [shugo]) dans la langue japonaise. La particule が montre le "cas sujet" (主格 syukaku [shukaku]), et は, le "thème" (主題 syudaï [shudaï]).
 Je ne parlerai pas du problème très difficile de ces particules cette fois-ci, mais de celles de terminaison. La particule ね -né est souvent traduite par "n'est-ce pas?", mais certains d'entre vous ont probablement déjà remarqué que les Japonais utilisent trop souvent "-né" pour que ce petit mot corresponde à "n'est-ce pas?". Il vaudrait mieux réfléchir à cette opposition connu-inconnu pour comprendre l'emploi de cette particule.
 Prenons un exemple simple.
今日青森は天気が悪いですね。Kyô Aomori-wa tenki-ga warui-désu-né.
 Le temps est mauvais à Aomori aujourd'hui, n'est-ce pas?
 J'ai donné la traduction "exemplaire", mais on n'a pas vraiment besoin de traduire la particule. Ce "-né" suppose que l'information énoncée dans la phrase est "connue" de l'interlocuteur, mais il ne demande pas forcément l'acquiescement de celui-ci. Il y a une sorte de "complicité" concernant l'information. Les Japonais disent parfois ねえ en prolongeant la voyelle. Cette phrase courte ne veut pas nécessairement dire "N'est-ce pas?", mais elle sert à affermir l'entente tacite. 
 Si vous rencontrez quelqu'un dans la rue à Aomori quand il pleut, et que vous lui disiez 今日青森は天気が悪いです sans ajouter ね -né, vous risquez de lui donner une impression bizarre, car cette énoncé veut donner une information "neutre". Vous ferez mieux d'ajouter presque systématiquement cette particule si vous croyez que l'autre est déjà au courant de l'information contenue dans la phrase.
 Par contre, la phrase 今日青森は天気が悪いですよ avec -yo à la fin est utilisée dans une autre situation. よ -yo est la particule de terminaison qui a la fonction grammaticale contraire à ね -né. Elle suppose que l'interlocuteur ne connaît pas l'information donnée par l'énoncé. Donc, vous pouvez le dire au téléphone, mais jamais à quelqu'un qui se trouve actuellement à Aomori. Il est possible que l'autre soit déjà arrivé à Aomori avec son portable, ou qu'il sait qu'il pleut à Aomori par l'image de la webcam de NTT Aomori. Mais c'est la conviction du locuteur qui compte. (A propos, on voit la pharmacie de mon cousin à la webcam de NTT Aomori ;D)
 Une autre particule de terminaison な -na est destiné au locuteur lui-même. La phrase 今日青森は天気が悪いな est prononcée "comme si l'autre ne l'écoutait pas". La question そうかな sô-ka-na est plus contestation que question en vérité, car elle dit "Je me demande si c'est ça".
 On connaît également la forme composée.
この映画はおもしろいよね。Kono eiga-wa omosiroï-yo-né [omoshiroï-yo-né].
 J'ai dit tout à l'heure que -yo porte la fonction contraire à -né. Mais cette phrase ne pose pas de vrai problème d'interprétation. Le locuteur a devant lui une personne qui ne sait pas que ce film est intéressant. Elle ne l'a pas vu, ou elle le trouve ennuyeux. Le locuteur prononce cette phrase à une autre personne qui doit savoir que ce film est intéressant. En fait, l'individu qui a l'opinion négative peut ne pas se trouver au lieu de la conversation. Ici aussi, ce qui compte est l'intérieur du locuteur: Il suppose l'existence des personnes qui ne sont pas au courant de ce fait.
この映画はおもしろいよな。Kono eiga-wa omosiroï-yo-na [omoshiroi-yo-na].
 Dans ce cas-là, la particule -na est sentie comme un élément qui ressemble beaucoup à -né, mais plus faible. Du fait qu'elle demande moins de complicité, l'emploi de よな peut être considéré comme "masculin", c'est-à-dire réservé aux garçons.
 J'ajoute que ce sont mes observations personnelles.

lundi 1 décembre 2008

しわす(師走) shiwasu (décembre)

 Le mois de décembre est un mois où on est embêté par l'étymologie populaire. Chaque année, on répète le même rituel, comme les Japonais aiment. "Savez-vous pourquoi le mois de décembre est appelé shiwasu?" "Non, je ne sais pas." (Mais pourquoi? Etes-vous tous amnésiques? On le dit tous les ans sans jamais s'en lasser!) "C'est parce que le maître court!"
 Vous parlez du maître, mais de quel maître s'agit-il? Le pédant vous répondra peut-être que c'est le bonze. A la fin d'année, le bonze doit se rendre chez tous les danka ("paroissiens") pour donner la lecture de sutra. Cela veut dire qu'on est tous affairés au mois de décembre. C'est déjà une étymologie populaire, mais classique. Un autre vous donnera une version "moderne": "Les profs sont tous des peinards, mais même eux sont occupés à la fin d'année!" Et on rigole tous les ans. Ce qui est curieux est qu'il n'est pas connu que ces explications sont fausses.
 Il est vrai que ce mot est souvent écrit avec deux kanji 師走, et ces idéogrammes pourraient donner le sens "le maître court". Mais la langue est d'abord orale, et on lui donne l'écriture après coup. Qu'est-ce que le son shiwasu veut dire alors?
 Le hiragana pour ce mot devait être しはす jusqu'au milieu du 20e siècle. Si on divise ce mot en deux éléments, cela peut donner し+はす par exemple. Les kanji 師走 correspondraient probablement à cette séparation. La lecture on'yomi de 師 est bien し (shi), mais rien n'assure que la kun'yomi du caractère 走る, はしる (hashiru) puisse changer en はす (hasu). C'est trop improbable.
 Si cette division est juste, on peut plutôt penser que l'élément し (shi) est l'infinitif (連用形, ren'yô-kei) du verbe する (faire, suru), et はす (hasu) vient de l'adjectif verbal (連体形, rentaï-kei) de l'ancien verbe はつ (achever, hatsu), qui a la même forme hatsu que l'indicatif (ou la "forme finie") (終止形, shûshi-kei). しはつつき (shi-hatsu-tsuki) pourrait donc dire "le mois où on achève tout". C'est l'hypothèse la plus probable selon moi. (La forme moderne du verbe はつ [hatsu] est はてる [hatéru])
 D'autres hypothèses pensent que し shi est le reste de 四季 shiki (quatre saisons) ou de 年 toshi (année). Dans ces cas-là, le mot veut dire le mois où les quatres saisons s'achèvent ou que l'année s'achève. A mon avis, on doit toujours se méfier quand les Japonais parlent des quatre saisons.
 Ou bien, le mot peut être une altération de l'adjectif せはし (séwashi) qui veut dire "affairé, occupé" (La forme moderne du mot est せわしい [séwashii]). Il y a plusieurs autres propositions pour expliquer l'origine de ce mot plutôt obscure.
 J'ajoute que ces noms alternatifs de mois ne sont guère utilisés par les Japonais modernes. C'est le piège que les débutants tombent assez souvent. Même si les mots comme "1er mois" "2e mois" vous paraissent plus insipides que ces noms "poétiques", ceux-ci sont pratiquement désuets, et maintenant presque oubliés à part shiwasu, qui alimente seulement la conversation des salles d'accueil des cabinets médicaux à la période des fêtes de la fin d'année.

mercredi 26 novembre 2008

十(じゅう) zyû [jû] (dix)

 Il est connu que les Français ne prononcent pas toujours leur langue de façon "correcte". Du moins leur prononciation n'est-elle pas du goût des puristes. Par exemple, la voyelle œ doit être prononcée comme é, si elle n'est pas suivie d'une autre voyelle. Probablement pour le mot cœlacanthe, personne ne prononce ceu-lacanthe ou queue-lacanthe, mais on entend déjà feu-tus pour fœtus. Si l'œcuménisme garde encore sa valeur authentique, les œnologues eux-mêmes disent eu-nologues à nos jours. Certains trouvent que la prononciation é-nologue est bizarre et erronée.

 Ce phénomène est constaté en japonais aussi. Le mot 十(じゅう) zyû [jû] (dix) est un exemple typique. Si ce mot est suivi d'un "spécifique numéral" comme 個 ko, la prononciation "correcte" doit être じっこ zikko [jikko], mais presque tout le monde prononce *じゅっこ *zyukko [*jukko] à nos jours. Il y a même des parents qui sont indignés d'apprendre que le prof donne la prononciation "dialectale" (ou provinciale) à leurs enfants à l'école. Ils prétendent qu'il est logique que zyû [jû] + ko fait zyukko [jukko], mais non pas zikko [jikko]. Ils ne s'aperçoivent pas que, juste avant dix, pour le chiffre neuf, 九(きゅう) kyû + ko fait きゅうこ kyûko, mais jamais *きゅっこ *kyukko. Cela ne fait que rire. Donc ce qu'ils avancent n'est pas aussi logique qu'ils s'imaginent... Alors, pourquoi zyû [jû] + ko doit-il faire zikko [jikko], tandis que kyû + ko fait kyûko? Il faut connaître un peu l'histoire de japonais.

 A l'époque où les Japonais absorbaient goulûment la culture chinoise (vers le 8e siècle à l'ère de la dynastie Tang), la langue du peuple Han avait un type de syllabes fermées que le mandarin moderne a perdues: celles finissant par k, p, t. Les Japonais de l'époque voulaient bien imiter ces syllabes fermées, mais ces sons ont été graduellement assimilés au système phonétique de la langue japonaise. (Le nom de l'acteur Chow Yun-Fat montre que le cantonnais moderne garde ces syllabes.)

 La consonne t a apparemment bien résisté parmi ces trois. Les entrées du Dictionnaire japonais-portugais (Nip-po) publié au début du 17e siècle par les missionnaires font le témoignage de ce fait. Par exemple, le mot 出没(しゅつぼつ) (apparition soudaine), dont la transcription Hepburn modernisée est syutubotu [shutsubotsu], est transcrit comme xutbot dans ce dictionnaire. Cela veut dire que les Portugais n'entendaient pas de voyelle après le t final des mots (syllabes) d'origine chinoise. (D'ailleurs, les Japonais ordinaires ne sont nullement conscients qu'ils ne prononcent pas forcément les voyelles i et u, un peu comme le schwa.)

 La prononciation du kanzi [kanji] 国 est guo pour le mandarin moderne, mais elle est supposée avoir été à peu près kwok au Moyen Age. Le japonais ajoute le u à la fin, ce qui donne le résultat que la lecture on'yomi (こく, koku), qui doit être fidèle au chinois, compte deux syllabes. Ces caractères chinois dont la on'yomi est de deux syllabes distinctes sont issus des mots-syllabes dont la consonne terminale était k ou t.

 Le kanji 一 (anciennement iet) a deux on'yomi いち (iti [ichi]) et いつ (itu [itsu]). Ceci est kan'on, et cela go'on (voir cet article). Les Japonais d'avant le 8e siècle ajoutaient le i plutôt que le u préféré par ceux d'après l'ère Nara. Il est très intéressant de constater que même les Japonais modernes suivent cette tradition languistique. Pour le même mot anglais strike, on a d'abord donné la transcription ストライキ avec i à la fin (grève), et puis ストライク avec u (pour le bowling). On connaît également インキ (i) et インク (u) qui n'ont pas de sens différent selon la transcription (ink, encre), mais la première est toujours la plus ancienne.

 En revanche, la langue japonaise a perdu la consonne p au fil des temps. L'ancienne prononciation chinoise du kanzi [kanji] 十 était à peu près jip. Les Japonais ont transcrit le caractère comme じふ (jusqu'à la première moitié 20e siècle), car la série はひふへほ correspondait aux sons pa, pi, pu, pé, po au Moyen-Age. La consonne p a changé en f, et puis en h. Le Dictionnaire Nip-po montre qu'on prononçait le f au lieu du h moderne au début 16e (le printemps y est faru), alors que la transcription Hepburn au 19e siècle témoigne l'état passager où seul ふ gardait la prononciation f (fu). Et la consonne h (ou f) a perdu sa valeur phonétique sauf au début du mot.

 Je trouve très curieux que les Japonais respectent bien la transcription Hepburn qui n'est nullement scientifique ni logique. Il y a même des Japonais qui prononcent fu exprès pour ふ, car Hepburn voulait que ce soit fu, tandis que ce son est à présent déjà passé à hu, suivant l'évolution logique de la langue. C'est de la bouffonnerie. Cela me fait rire également que les Français qui apprennent le japonais respectent soigneusement cette transcription vite faite, à l'anglaise, mais c'est personnel... D'ailleurs, je suis assez bien cette "tradition" dans ce blog pour ne pas trop perturber les lecteurs. Même pour la lecture du kanzi [kanji] 一, la transcription "nippone" iti et itu serait beaucoup plus logique et compréhensible que ichi et itsu. Cette disparité obligée me pose un grand problème. Je ne sais pourquoi aucun linguiste japonais n'a jamais pensé sérieusement à l'alphabétisation qui respectait l'étymologie.

 Ainsi, le mot dix, qui était じふ jip(u) au début, s'est transformé en jifu, jihu, et puis en jiu. Mais si le mot était combiné avec un autre élément comme ko, じふこ donnerait la prononciation jip(u)ko. Mais le mot jipko n'est pas prononçable pour les Japonais a priori, donc cela donne jikko, mais jamais jukko n'est possible dans cette logique. Mais franchement, j'avoue que je me trompe très souvent moi aussi. (Pour le kanzi [kanji] 九 (neuf), le caractère correspondait à la syllabe ouverte kiu, qui ne causait aucune difficulté avec l'ajout de ko.)

 Allez corriger le japonais des japonais, et consolidez la réputation des francophones antipathiques! ;-p

mercredi 19 novembre 2008

様(さま) sama

 On trouve souvent la description qui dit que le mot japonais さま sama (ou plutôt un suffixe dans ce cas) correspond aux mots français comme Monsieur, Madame et Mademoiselle. Mais alors, comment doit-on comprendre ces expressions?

    お疲れさま。(おつかれさま) o-tsukaré-sama (Tsukaré: fatigue)
    ご苦労さま。(ごくろうさま) go-kurô-sama (kurô: peine)
    お気の毒さま。(おきのどくさま) o-kinodoku-sama (kinodoku: pitié)

  Ces phrases veulent dire respectivement (à peu près) "Vous devez être fatigué", "Merci d'avoir pris la peine (Merci de votre service)", "Je suis désolé pour vous". Otsukarésama ("Vous devez être fatigué") peut être utilisé pour dire au revoir dans certaines occasions. Vous pouvez dire gokurôsama au facteur ou au coursier par exemple.
 Le mot (suffixe) さん -san est une forme altérée et familière de sama, et on peut substituer sama à san dans ces expressions. (Logiquement, on devrait transcrire sam plutôt que san, mais personne ne le fait, car les Japonais se foutent complètement de l'étymologie pour la transcription alphabétique. D'ailleurs, on peut dire la même chose pour la réforme d'écriture après la Deuxième Guerre mondiale. Vous devez au moins savoir que le hiragana ん porte plusieurs valeurs phonétiques: n, m, ng... Vous pouvez les prononcer presque indifféremment, et les Japonais entendent toujours la même chose si la consonne n'est pas suivie de voyelle.)
 Le Grand Dictionnaire de la langue japonaise de Shôgakukan dit tout simplement que l'emploi de sama avec le nom de personne montre le respect, et les exemples o-nom-sama ou go-nom-sama la politesse. Moi, je pense plutôt que ce suffixe montre certaines affections envers l'interlocuteur. (La règle générale veut qu'on ajoute le préfixe o- avant le mot d'origine japonaise, et go- avant le mot d'origine chinoise, mais il y a des exceptions.)
 La faute que les Français commettent très souvent est causée par la définition qui dit que ce mot sama (ou san) correspond aux "titres". Mon nom de famille est Fukui, mais je ne peux jamais dire 私はふくいさんです (watashi-wa fukui-san-desu), car ce suffixe est destiné à l'interlocuteur. Je ne peux montrer le respect envers moi-même.

 Le mot sama, qui n'est pas utilisé comme le suffixe, veut dire proprement "apparence, port". L'expression さまになる (sama-ni naru) veut dire "avoir du style (passable)".

    きみの習字はなかなかさまになっているよ。(kimi-no shûji-wa nakanaka sama-ni nat-té-iru-yo)
    Ta calligraphie est beaucoup meilleure que ce que j'imaginais (ou ce que tu disais)!

 (L'adverbe nakanaka veut dire "contrairement à l'attente négative". Vous ne devez pas dire あなたの料理はなかなかおいしい [Votre cuisine est assez délicieuse] sans contexte. Si l'interlocuteur vous a déjà dit qu'il n'était pas bon cuisinier, vous pouvez le dire.)
 Le mot ざま zama est une autre forme de sama qui signifie l'apparence, mais sa nuance est mauvaise. ざまあみろ zamâ miro
(est-ce l'altération de "zama-o miro"?) signifie "Regarde ce que tu
es!", mais on peut le traduire "T'as eu ce que tu mérites!". Ce n'est
pas un gros mot proprement dit, mais presque. 何だ、そのざまは nan-da sono zama-wa! "Qu'est-ce que c'est que cet état!" La traduction que je propose est "tu es vraiment pitoyable".

 死にざま shinizama signifie "façon de mourir", mais la nuance est forcément mauvaise.

三島の死にざまはひどいものだった。Mishima-no shinizama-wa hidoï mono-dat-ta.

La façon de mourir de Mishima était horrible.


 Certains utilisent 生きざま ikizama "manière de vivre" dans le sens positif, mais les puristes trouvent cette utilisation très fâcheuse.

 Le suffixe ちゃん -chan qu'on ajoute au nom est une autre forme altérée de sama, beaucoup plus familière que -san. L'emploi s'avère délicat, donc il vaut mieux que vous vous abtsiniez à l'utiliser. Il y a même un professeur qui a été licencié pour l'utilisation déplacée de -chan, considérée comme le harcèlement sexuel envers des étudiantes. (Ce n'était pas la seule raison mais...) Il n'est pas seulement utilisé pour les filles et les enfants, mais on peut dire おじいちゃん (ojiichan, papy) ou おじちゃん (ojichan, tonton) par exemple. Vous ne devez pas le dire en principe, à moins que vous ne connaissiez bien la personne. (C'est assez rare, mais on peut rencontrer ちゃま chama. L'emploi est désormais une plaisanterie plus ou moins péjorative. Par exemple, le premier ministre Asô Tarô est qualifié de お坊ちゃま obottchama, enfant bourgeois qui ne connaît rien de la vie. Mais quel âge a-t-il?...)
 Peut-être que ce mot garde approximativement l'ancienne prononciation, car on suppose que la consonne s était ts au Moyen Age. On peut entendre le fils de paysan prononcer おとっつぁん (otottsan) pour dire おとうさん (otôsan) seulement dans le jidaïgéki (drame de l'époque, de cape et d'épée à la japonaise ou série policière avec samouraïs). おとうちゃん (otôchan, papa) et おかあちゃん (okâchan, maman) sont toujours utilisés par les Japonais moyens. En tout cas, vous n'aurez sans doute pas l'occasion d'utiliser ces appellations familières.

 Un autre suffixe qu'on doit utiliser seulement pour les garçons est くん -kun. L'emploi correct veut que vous ajoutiez -kun au nom d'un garçon qui n'est pas plus âgé que vous. Et en plus, c'est une appellation de camaraderie entre les garçons. Mais FUKUZAWA Yukichi (1835-1901), le penseur japonais qui a défini la modernité japonaise et le fondateur de l'Université de Keiô, a commencé l'utilisation générale de ce suffixe, également pour les filles. (Le kanji pour -kun est 君, mais personnellement, j'écris toujours ce suffixe avec hiragana.)
  Maintenant on ne sait plus comment utiliser ce mot correctement. Si on respectait bien la grammaire, une femme ne devrait pas appeler un garçon avec -kun, mais avec -san. Mais cette règle est complètement oubliée. L'exception est probablement les filles très bourgeoises qui n'ont pas l'habitude d'appeler le nom de garçon avec -kun. Mais si vous êtes fille francophone qui parle japonais, je pense que vous pouvez toujours appeler les garçons japonais avec -san, sans imiter les Japonaises modernes.
 Pour le nom de fille, il n'y a pratiquement que les professeurs de Keiô qui ajoutent -kun au lieu de -san, mais le Parlement adopte le modèle de Fukuzawa je ne sais pourquoi. Les gens qui détestent cette camaraderie à la Fukuzawa n'utilisent jamais -kun. J'en connais quelques-uns.

 Le suffixe 殿(どの) -dono est utilisé par l'administration. Bien que le mot veuille dire seigneur (tono) à l'origine, beaucoup de gens y voient la condescendance administrative. Pas mal de mairies et de préfectures mettent désormais sama au lieu de -dono sur le papier et le courrier.

dimanche 16 novembre 2008

開き直り(ひらきなおり) hirakinaori (avoir le front)

 Hirakinaori est une attitude à la mode parmi les gouverneurs et les chefs de l'armée. Je crois que la mode a commencé avec ISHIHARA Shintarô, le gouverneur de Tôkyô qui a arrêté d'apprendre le français avant de savoir compter jusqu'à quatre-vingts. Il s'agit d'une effronterie qui ne reconnaît pas sa faute. Le gouverneur d'Osaka HASHIMOTO Tôru est très doué pour faire le hirakinaori. Et l'homologue de Hyôgo (dont le chef-lieu est Kôbé) Ido a récemment participé au groupe en disant que "ce serait une chance pour nous, s'il y avait un grand séisme à Tôkyô." Tous les trois aiment faire le hirakinaori qui dit "Je ne vois pas où est le mal dans ce que j'ai dit!". Le chef de l'armée de l'air Tamogami s'est rangé à cette tendance avec son hirakinaori déplorable... Il a le front de dire que son essai révisionniste est historiquement correct. "Avoir le front" n'est une traduction possible de ce mot assez difficile à traduire.
 Et apparemment, les gens adorent ces effrontés. Je dis "les gens", mais qui est-ce? Ce sont les gens qui aiment le hirakinaori chauvin, une sorte de franchouillardise à la japonaise. "Je dis ce que je pense, je fais ce que je fais, où est le mal? La liberté d'expression n'existe pas pour les nationalistes au Japon, je suis bouc émissaire, bla bla bla..." Forcément, on les admire. (Ce n'est pas la nippouillardise, car cette attitude pseudo franchouillarde n'est pas très japonaise. D'ailleurs, le mot n'est pas heureux.)
 On utilise ce mot hirakinaori normalement dans le mauvais sens, mais certains l'emploient avec une nuance positive depuis des années: accepter comme on est. I am what I am! mais on ne peut nier que ce mot reste largement péjoratif.

ひらきなおるのはやめなさい "Arrêtez de faire le hirakinaori". Je ne trouve pas de bonne traduction. Je crois que la traduction "Arrêtez de dire n'importe quoi" est assez proche de la nuance de l'expression.

 Des dictionnaires donnent la traduction "prendre subitement une attitude menaçante; passer à l'offensive" ou "take a defiant attitude" en anglais, mais la nuance de ce mot n'est pas aussi forte. Hirakinaori, c'est de répondre négligemment à la critique "Ooki, ooki, tu aaas raison. C'est moi qui ai toujours tort!" Ce n'est pas vraiment offensif.
 Le mot est composé de deux verbes hiraki et naori. Hiraki (hiraku), qui signifie "ouvrir"  normalement, veut dire dans ce cas "faire face". Naori (naoru) veut dire "guérir" par exemple, mais il signifie "changer d'attitude" ici. Donc hirakinaori veut dire à l'origine "prendre la position qui fait directement face à quelqu'un". Si la traduction qu'on trouve dans les dictionnaires n'est pas vraiment fausse, c'est que cette attitude peut faire penser à celle de la souris qui ne peut plus fuir devant le chat. Elle apparaît après un revers, une situation défavorable à la personne. Hirakinaori est très souvent une réaction à la critique. L'équipe perdante repart à l'offensive à la dernière minute. Cette offense peut être un hirakinaori, mais il n'est pas vraiment loin du désespoir. Mais j'ai l'impression que les journalistes sportifs aiment utiliser ce mot dans le bon sens.

ひらきなおってやってほしいですね。"Je voudrais qu'ils jouent avec hirakinaori." Je propose "comme si c'était leur dernier match", mais je crois qu'une meilleure traduction est possible.

 Tout le monde rit à la même blague, mais vous seul dites "Mais cette blague est nulle!" avec le sérieux. Là, vous faites hirakinaori aussi. Dire des choses "directes" signifie qu'on ne comprends pas les raffinements. Ce caractère direct et franc de hirakinaori était traditionnellement mis en aversion par les Japonais, mais les "nationalistes" adorent montrer fièrement le hirakinaori, et leurs supporters les adorent ainsi. Quel paradoxe!

N.B. Hirakinaori est le ren'yôkei qui correspondrait à l'infinitif. Le ren'yôkei du verbe peut être utililé souvent comme un substantif. Le Dictionnaire de l'ancien japonais d'Ohno Susumu (éd. Iwanami) choisit le ren'yôkei comme l'entrée du verbe. Généralement, elle est le shûshikei (forme finie), qui serait l'indicatif. Le dictionnaire japonais fait un peu comme le latin et le grec. Vous ne devez pas penser que la forme donnée par le dictionnaire japonais comme hiraku et naoru soit l'infinitif.

dimanche 9 novembre 2008

-コン -kon

 Chaque syllabe de la langue chinoise porte un sens en principe, mais les mots chinois sont souvent composés de deux syllabes, c'est-à-dire de deux idéogrammes. Le japonais qui a emprunté beaucoup de mots du chinois possède également de nombreux mots faits de deux idéogrammes, qui sont fréquemment de quatre syllabes en japonais moderne.
 Aussi, les Japonais adorent-ils abréger des mots longs en quatre syllabes, et il arrive que certains éléments aient l'air de pseudo-unités d'origine chinoise qui auraient un sens. Mais ce n'est qu'une apparence, et on cherche en vain le caractère commun.
 Par exemple, il y a pas mal de nouveaux mots qui finissent en コン (ko-n, deux "syllabes" en japonais). Ces kanji 金, 根, 昆, 昏, 恨, 困, 混, 痕, 魂, 今, 懇, 墾, 坤 ont tous la lecture kon, donc cet élément phonétique peut bien avoir aux oreilles l'air d'un kanji qui a un sens. Les Japonais de l'ère Meiji ont fabriqué beaucoup de mots avec les idéogrammes selon le modèle chinois (souvent réimportés par les Chinois d'ailleurs), et ils continuent à faire des néologismes à partir des mots de diverses origines (anglaise pour la plupart), et ce, toujours suivant le modèle chinois, même s'ils n'en sont aucunement conscients.
 Je donne des exemples des mots en -コン.

マイコン micro computer (déjà désuet)
パソコン personal computer
ファミコン family computer (ancien jeu vidéo de Nintendo)
スパコン super computer
マザコン mother complex (fils à maman)
ロリコン Lolita complex (pervers sexuellement attirés par les petites filles)
リモコン remote controler (télécommande)
エアコン air conditioner (climatiseur)
ツアコン tour conductor (compagnon de voyage)
ゼネコン general constructor (grand constructeur immobilier)
生コン nama (brut) concrete (ciment brut)
合コン (uni) company (fête des jeunes de deux parties, filles et garçons)

 Phonétiquement, le dernier exemple gôkon ressemble vraiment à un mot d'origine chinoise.
 Je ne pense pas que la linguistique japonaise ait inventé un terme propre à la catégorie de ces néologismes d'origine étrangère, formés selon le modèle chinois.

P.S. J'explique ce petit mot drôle que 合コン gôkon. Les Japonais gardent bien la tradition de Confucius qui dit "Garçons et filles ne mangent pas à la même table dès l'âge de sept ans". Même dans la classe des établissements d'enseignement supérieur, la classe est souvent divisée en deux, bien qu'il n'y ait aucune obligation. A droite, c'est les garçons, et à gauche, c'est les filles! (ou c'est l'envers. Je me souviens bien des têtes de profs français qui l'ont découvert avec stupéfaction.) Donc afin que les garçons et les filles "se rencontrent", il faut qu'on organise la fête "unie".

Cf. SUZUKI Takao (spécialiste de linguistique sociale) 鈴木孝夫『日本語と外国語』(Japonais et langues étrangères)(岩波新書)

mercredi 22 octobre 2008

食う(くう) kuu (manger)

 Certains d'entre vous se disent très probablement "Mais, ce n'est pas 食べる(たべる)(tabéru), le verbe japonais qui veut dire manger?" Exactement, mais à l'origine, tabéru est un "mot de femmes" (nyôbô-kotoba), jadis utilisé par les femmes de cour, dont l'emploi a été généralisé par la suite (voir l'article précédent). Il est vrai que le mot kuu a été quasiment supplanté par tabéru maintenant au moins dans la conversation "polie", mais le verbe manger utilisé dans les locutions et les expressions est toujours kuu, mais jamais tabéru.
 D'ailleurs, c'est une sorte de "croyance populaire" très répandue même parmi les gens soi-disant cultivés, qui considère kuu comme un mauvais mot, voire un mot vulgaire. Kuu n'est pas aussi poli que le parler des femmes de cour. Cela ne veut pas dire que ce mot soit peu recommandable.
 Si vous avez l'occasion, demandez à un Japonais s'il pense que le verbe kuu est un mot vulgaire. Je parie qu'il vous répondrait que oui avec 80% de probabilité. Aussi certains parlent-ils du "mauvais sort" du mot kuu. Il n'a rien fait, mais il n'est pas aussi élégant que tabéru. Si j'ose une explication volontairement imagée, vous pourriez comprendre que l'inspiration de ce mot soit de recevoir la manne de Dieu: le verbe montre une action que quelqu'un de ci-bas reçoit quelque chose de quelqu'un de là-haut. Tout simplement, kuu n'avait pas la chance d'être aussi sublime. Et pourtant, je me vois obliger de vous conseiller l'utilisation exclusive de tabéru, car kuu peut choquer certaines personnes, même si ce n'est pas sa faute.
 
Par contre, vous ne devez pas oublier que les expressions figées ne peuvent pas être modifiées comme vous voulez. A vrai dire, certains de mes compatriotes se sentent libres de les altérer, puisque kuu est un mauvais mot! Mais vous ne devez pas suivre ces mauvais exemples, caricatures du politiquement correcte. Cela ne donne que des effets hilarants auprès des gens honnêtes.
 Par exemple, il y a une expression qui dit "l'amitié depuis l'époque où on a mangé le riz de la même marmite" 同じ釜の飯を食った仲(おなじ かまの めしを くった なか)(onaji kama-no méshi-o kut-ta naka). D'origine probablement militaire, elle est utilisée seulment pour les garçons qui ont passé la jeunesse (adolescente et post-adolescente) ensemble. Tout comme vous ne pouvez modifier quatre cents coups en quatre cents cinquante coups ou quatre mille coups, vous ne devez pas toucher l'expression même si vous trouvez vulgaires les mots méshi et kuu. Il est absurde de remplacer kuu par le mot de femmes tabéru, car cette expression est réservée aux garçons. Mais malheureusement, on constate parfois que certains journalistes poussent à l'extrémité leur sensibilité politiquement correcte. Il y a des années, l'ancien premier ministre Takéshita a évoqué un confrère en utilisant cette expression. La télé a passé cette image. Mais le lendemain, des journaux ont corrigé le verbe kuu en tabéru... Cela n'a fait que rire les gens.
 Je donne d'autres exemples des expressions et des mots composés avec le verbe kuu pour votre curiosité. (Je crois que le verbe tabéru n'entre dans aucune locution en revanche.)

食いしん坊(くいしんぼう)(kuïshinbô) Gourmand.

食わずぎらい(くわずぎらい)(kuwa-zu-giraï) くわず(négation de kuu) + きらい (kiraï) Détester une chose sans l'avoir mangée. Figurément: Avertion naturelle, fondée sur les préjugés (généralement frivoles et peu graves). SFは食わずぎらいです。"Je n'aime pas la science fiction, bien que je n'en aie jamais lu."

道草を食う(みちくさを くう)(michikusa-o kuu) Littéralement: Manger les herbes sur la route. Ne pas rentrer directement chez soi (souvent après l'école). (L'inspiration est peut-être la même que l'école buissonnière, si le sens est un peu différent.) Traîner inutilement. Faire un détour sans grande nécessité (divagation dans un argument).

食うや食わず(くうや くわず)(kuu-ya kuwa-zu) Littéralement: Manger ou ne pas manger. Se trouver dans l'indigence. Etre au point où on ne trouve plus rien à manger.

食いもののうらみ(くいものの うらみ)(kuïmono-no urami) Ressentiment pour une bouffe. Je ne sais d'où vient cette expression proverbiale. On dit souvent 食いもののうらみは怖い(くいものの うらみは こわい)(kuïmono-no urami-wa kowaï), qui dit "Le ressentiment pour la bouffe porte une grave conséquence". "La personne que tu n'as pas bien nourrie se vengera sur toi un jour." On le dit plaisammant quand on distribue les portions d'un plat ou d'un dessert, en insistant sur l'égalité, par exemple.

夫婦喧嘩は犬も食わない(ふうふげんかは  いぬも くわない)(Fûfu-genka-wa inu-mo kuwanaï) Proverbe. Traduction littérale: Même le chien ne mange pas la dispute de ménage (homme-femme). "Eh! les amoureux, personne ne se soucie de ce qui se passe entre vous." (Fûfugenkafûfu + kenka)

 Je dois dire qu'on entend maintenant moins souvent 食いもののうらみ(kuïmono-no urami) que 食べもののうらみ(tabémono-no urami). C'est probablement parce qu'il s'agit d'une expression de registre enfantin. Maman n'aime pas entendre son enfant prononcer kuu. Dans la même logique, 食わずぎらい(kuwa-zu-giraï) est de plus en plus menacé par 食べずぎらい(tabé-zu-giraï). C'est maman qui dit "Il faut manger de tout!" Pour les autres expressions, le remplacement par 食べる est ridicule. (Il arrive que certaines bourgeoises disent 道草を食べる (michikusa-o tabéru), mais cela reste bizarre et risible. Mais comme c'est une expression concernant les écoliers, il est possible que cet emploi se répande dans un avenir.)

(Je me réfère aux essais de TAKASHIMA Toshio, universitaire spécialiste de la littérature chinoise.)

lundi 20 octobre 2008

お金(おかね) okané (argent)

 Le fonctionnement du préfixe o- en japonais est souvent mal expliqué. On dit qu'il ajoute le respect au mot. En effet, ce n'est pas faux, mais ce n'est que le premier usage. Comment peut-on comprendre お尻 (oshiri) alors? Le mot veut dire les fesses. Les Japonais respectent-ils les fesses? Peut-être, mais ce n'est pas le cas. Ce préfixe o- est utilisé dans ce cas-là pour adoucir le caractère sec, voire vulgaire, du mot. L'emploi vient de la coutume des femmes de la cour impériale à l'origine (女房ことば, nyôbô-kotoba). 女房(にょうぼう)ことば (les mots de femmes) est maintenant utilisé par tout le monde sans égard pour les sexes. On peut probablement dire que ce préfixe exorcise le mauvais côté du mot. (Le préfixe n'est pas "productif" pour cet usage. Vous ne pouvez pas inventer de nouvelles combinaisons, tandis que vous pouvez ajouter o- assez librement quand il s'agit du respect.)
 Le o- devant le mot argent okané (お金) doit être compris dans ce sens-là. Il est vrai que le mercantilisme des Japonais contemporains est exacerbé, mais c'est exagéré de dire que les Japonais ajoutent ce suffixe pour montrer leur profond respect à l'argent. On doit plutôt croire que l'argent portait un caractère sale dans l'imagerie japonaise.
 Cependant, l'emploi de ce mot okané ne peut être universel. On sent vaguement que le suffixe vient du nyôbô-kotoba. N'est-il pas un peu inapproprié d'utiliser un mot de femmes quand on parle sérieusement des sciences économiques? Pourtant, le mot kané sans o- est maintenant senti trop sec et brutal pour les Japonais complètement accoutumés aux mots de femmes.
 Par conséquent, ils ont recouru à leur passe-passe habituel. On emprunte le mot d'anglais! Ainsi, on n'entend pratiquement que le mot money (マネー), quand la télé et la radio parlent de l'économie internationale. Dans d'autres cas, on utilise des mots d'origine chinoise qui veulent dire "fonds" ou "capital" suivant les contextes. Les étudiants de japonais pourraient mener les enquêtes sur la question: Comment les gens "sérieux" évitent d'employer le mot okané quand ils parlent de l'économie?

lundi 13 octobre 2008

イマージュ image

 L'emploi de katakana pose beaucoup de problèmes aux gens qui veulent apprendre le japonais. Mes lecteurs savent déjà sans doute que ces caractères sont utilisés en japonais pour transcrire les mots d'origine étrangère d'une façon plus ou moins arbitraire. Je parlerai d'un seul problème aujourd'hui, celui des mots qui devraient être logiquement identiques, mais dont les significations, ou plutôt les emplois, se varient curieusement en japonais.
 Je cite le mot "image" comme un exemple. Je ne mets pas en cause pour le moment la paresse intellectuelle du premier Japonais qui n'ait pas pris la peine de le traduire en japonais. Il l'a transcrit phonétiquement de l'anglais, comme un mot qui signifiait l'image psychologique. Le mot en katakana est イメージ (i-mê-ji) en l'occurence. Mais curieusement et très malencontreusement, certains Japonais francophiles ont commencé à utiliser un autre mot イマージュ (i-mâ-ju), lorsqu'ils écrivaient sur la poésie française. Mais quelle est la différence sémantique entre ces deux mots, イメージ et イマージュ? On peut dire que celui-ci est seulement utilisé dans les domaines artistiques, poésie et cinéma en particulier, tandis que celui-là est destiné à l'usage général. En un mot, le mot イマージュ est un mot savant, qui n'est guère utilisé par les gens qui n'ont pas fait les études supérieures à la fac de lettres. Par conséquent, la différence entre ces deux mots est moins sémantique que sociale.
 Je donne un autre exemple d'un registre différent: noix de coco. Comme le produit agricole, le fruit s'appelle ココ椰子(ここやし) koko-yashi. Le mot yashi est le nom global pour le groupe des palmiers. Mais si ce fruit est utilisé pour l'utilisation industrielle, il s'appelle ココナツ (ko-ko-na-tsu), venu du mot anglais coconuts. Ainsi, ココナツオイル (ko-ko-na-tsu-o-i-ru) est-il l'huile de coco. Depuis les années 80, les Japonais commencent à utiliser un autre mot ナタデココ (na-ta-dé-ko-ko), d'origine espagnole (nata de coco), quand il s'agit d'un ingrédient alimentaire. Il me semble que les Japonais utilisent ce mot pour désigner la matière moelleuse dans la noix. Elle était appelée auparavant avec le même nom "coconuts", mais c'est la campagne publicitaire qui a voulu un autre nom pour la même matière, et qui a promulgué ce nom espagnole qui devait être chic pour un nouveau dessert, tandis que le mot "coconuts" avait déjà l'air un peu ringard.
 Pour le café au lait, c'est un peu pareil. L'image des Français était jadis chic, mais le nom カフェオレ (ka-fé-o-ré) s'est fait vite banaliser. C'est pour cela qu'il y a pas mal d'établissements qui proposent la boisson カフェラテ (ka-fé-ra-té) depuis les années 80. Le mot vient de l'italien (caffè latte). Bien sûr qu'ils n'ont pas dit que c'était la même chose que le café au lait カフェオレ avec un nom différent. C'aurait été une mauvaise publicité. Ils ont dit par contre: Mais non, ce n'est pas la même chose, c'est un nouveau produit à la mode, le caffè latte est le café au lait à l'italienne! Mais en vérité, il n'y a pas une moindre différence entre ces deux choses, quoi qu'ils prétendent. N'empêche qu'il y a toujours des gens qui se posent la question en vain, car personne n'a jamais été clair sur ce sujet. L'existence des personnes qui n'identifient pas "coconuts" et "nata de coco" ne m'étonne pas du tout, car les snobs affirment leur différence fondée sur rien. Ils sont différents tout simplement parce que la différence est inexplicable.
 Ainsi les mots en katakana sont souvent marqués par le snobisme des plus vide et vain.

mardi 30 septembre 2008

あし(足) ashi (pied)

 On ne peut jamais trop souligner que la rencontre des anciens Japonais avec la civilisation chinoise n'était pas forcément heureuse, au moins pour la langue japonaise. Tout comme le procédé pour fabriquer le vin doux comme le xérès, le mélange de deux civilisations à deux niveaux très différents a complètement arrêté la fermentation. Cette rencontre a rendu l'évolution du japonais impossible, au moment où il n'était pas encore bien développé.
 Par exemple, la langue japonaise n'a qu'un seul mot pour désigner les membres inférieurs: ashi (あし). Le mot veut dire ou le pied ou la jambe. Le vocabulaire n'était pas encore diversifié lorsque le Japon a connu la Chine, dont la civilisation était mille fois plus avancée. La langue chinoise possédait deux idéogrammes qui signifiaient respectivement le pied (足) et la jambe (脚). Les Japonais ne possédant pas leur propre système d'écriture devaient se contenter de traduire ces deux caractères avec le même mot japonais ashi.
 Désormais, les Japonais vivent un renversement étrange. On oublie pratiquement qu'il n'y avait qu'un seul mot pour désigner les membres inférieurs à l'origine, mais considère plutôt que ce sont des homonymes qui s'écrivent différemment, avec les deux idéogrammes, ce qui empêche la romanisation ou la suppression des kanji pour "moderniser" la langue japonaise. Tout en admettant qu'il n'y a pas de "si" dans l'histoire, j'imagine que, si les anciens Japonais n'avaient pas rencontré la civilisation chinoise il y a deux mille ans, ils auraient pu inventer un autre mot pour la jambe...
 L'exemple de ce mot n'est pas du tout une exception isolée. Les Japonais distinguent très souvent les prétendus homonymes avec les idéogrammes différents, qui n'ont rien à voir avec la logique intérieure de leur propre langue. Je peux dire que l'emploi du verbe pose beaucoup de problèmes aux non Japonais qui veulent apprendre cette langue. Par exemple, le mot kaésu peut être écrit au moins de deux façons: 返す et 帰す. Le premier veut dire "rendre, restituer", et le deuxième "renvoyer (qqn) (non pas dans le sens de "licencier")". Et assez souvent, la distinction est plus ou moins arbitraire. Les deux acceptions représentatives du verbe kiku sont "entendre (ou demander)" et "écouter", et les professeurs disent aux écoliers d'écrire le premier 聞く, et le second 聴く. Mais il faut dire que même les meilleurs écrivains ne respectent pas toujours cette règle scolaire, mais non pas grammaticale.
 Les substantifs ne posent pas moins de problèmes. L'exemple du mot kawa concernant l'enveloppe du corps n'est guère difficile à comprendre: 皮 est la peau, et 革 le cuir (en principe!) L'emploi de l'autre mot kawa qui veut dire rivière ou fleuve est plus délicat. 川 est un cours d'eau relativement moins important, et 河 est plus large que 川 (en principe!). Mais on n'utilise que le kanji 川 pour le nom géographique et administratif. Ces deux kawa (peau et fleuve) sont bien des homonymes, mais la subdivision, entre la peau et le cuir pour le premier, ne constitue pas une homonymie véritable.
 Mais que faire des mots comme machi (ville)? Il y a au moins deux kanji pour ce mot: 町 et 街. On peut dire que l'emploi du second est plus subjectif que le premier. 街 est une ville considérée dans l'importance de ses activités, tandis que 町 est probablement plus statique... On peut écrire tout le temps 町 en général, mais on utilise 街 pour souligner le côté urbain. Je dois dire que la distinction n'est qu'arbitraire.
 Ce qui m'embête le plus est les gens "cultivés" qui veulent imposer l'emploi correct des caractères chinois. Ils ne savent pas, ou veulent ignorer avec une persistance incompréhensible, que l'utilisation des kanji pour les mots d'origine japonaise n'est pas vraiment essentielle pour la langue japonaise. (Je ne parle pas ici des mots d'origine chinoise qui sont très nombreux dans notre langue. On a bien raison de les écrire avec caractères chinois.)

jeudi 18 septembre 2008

カリスマ主婦(かりすましゅふ) charisma-shufu (femme au foyer charismatique)

 Cette fois-ci, je vais parler d'un mot à la mode bien stupide: charisma-shufu, femme au foyer charismatique. Vous vous dites très probablement "Mais c'est contradictoire!" Pas tellement pour les Japonais.
 Tout d'abord, vous devez savoir que l'étymologie n'existe pas au Japon comme un domaine de linguistique. Vous cherchez en vain un dictionnaire étymologique de japonais dans la librairie. Donc, presque personne n'a dans la tête l'idée d'aller chercher l'origine de mot. Le néologisme, souvent censé être d'origine étrangère, est compris comme on l'entend.
 Pour le mot charisma également, ce n'est même pas la peine de dire que les Japonais se foutent complètement de son origine grecque. Ils connaissent le sens, mais ils ne gardent que l'admiration bien vague pour une personnalité. Mais ce qui compte est son caractère phonétique. Le mot est transcrit avec quatre katakana カリスマ (ka-ri-su-ma), ce qui est très heureux dans la langue japonaise qui adore faire des abbréviations en quatre syllabes. Ce mot sonne tout comme la forme abrégée de l'expression tout faite: kari-no sumaï, (séjour temporaire). Le mot qui commence par l'élément kari porte le sens de "temporaire, secondaire". Donc, ce mot d'origine grecque charisma est souvent ajouté aux fonctions et aux professions qui ne sont pas primaires, à ce qu'il me semble. Par exemple, j'ai vu à la télé un "détacheur charismatique" au nettoyage à sec. Le charisme au Japon est tout sauf charismatique. C'est bien le contraire. Très souvent, une personne "charismatique" n'est qu'un voisin sympathique au Japon.
 Mais que fait-elle, la femme au foyer charismatique? Bah, elle connaît plein d'astuces! Ménage, cuisine, tricot... La combinaison est bien heureuse, car le mot つま(妻) (tsuma) veut dire l'épouse. Pour le mot karisuma-shufu, la transition entre suma et shufu (femme au foyer) se fait sans aucune difficulté, bien que ce soit un mot composé de deux éléments hétéroclites, théoriquement parlant. Par contre, un sumotori charismatique, un joueur de go charismatique, un karatéka charismatique, ça n'existe pas. Un homme politique charismatique? Tu rigoles... Les personnes "charismatiques" doivent être comme les autres!
 Il y a pas mal de mots japonais prétendument d'origine étrangère. Mais c'est le feeling qui l'emporte sur le sens, les Japonais sont tellement feeling. Par exemple, on dit que le mot français "petit" fait beaucoup de succès comme une sorte de préfixe en japonais. Le mot est プチ (pu-chi), et il paraît que certains croient sérieusement que ce mot vient de la langue française. Mais moi, je n'ai aucun doute là-dessus: Ce mot n'est qu'une onomatopée bien japonaise. Les enfants appellent le papier bulles プチプチ (puchipuchi). Les Japonais pensent à quelque chose de petit en entendant le son "putchi", mais ce n'est jamais le son "peti" en français. Forcément, un Japonais qui a entendu les Français dire "petit, petit..." a introduit ce mot en japonais en affirmant que c'est un mot français, tout en pensant au papier bulles. Donc, ne dites pas aux Japonais que le féminin de l'adjectif "petit" est "petite". Ca ne les regarde pas, alors qu'ils prétendent que c'est un mot français. Ne désabusez pas notre feeling!

mercredi 3 septembre 2008

ひと(人) hito (homme)

  Hito est un mot des plus rudimentaire de la langue japonaise, mais c'est un mot bien complexe. Je donne les définitions du Grand Dictionnaire Shôgakukan. Ce mot neutre n'est pas antonyme du mot femme.
  1. Il signifie d'abord l'espèce humaine, homo sapiens. Il peut être aussi utilisé pour les extra-terrestres qui ont à peu près la même taille et la même capacité que les hommes.
  2. Homme qui vit dans la société. Homme comme le sujet de pensée, comportement et être. Personne, ou groupe de personnes. Les hommes en général. Les gens, voire le monde séculier. Peuple. Homme complet, adulte. Personne convenable pour réaliser un but. Conditions pour être un homme. Caractère, dignité, statut social. Autre homme par rapport au concerné. Autres. Entourage du concerné. Personne légale.
 J'omets l'emploi comme pronom. L'acception qui pose la question dans la communication est "les autres". L'altérité n'est pas une notion distincte dans la tête des Japonais. Il y a d'autres mots qui disent clairement l'autre homme comme tanin (他人) par exemple, mais ce mot d'origine chinoise n'est utilisé que pour souligner le peu de commerce avec la personne. Dans la plupart des cas, les Japonais préfèrent utiliser ce mot ambigu hito pour désigner les autres.
 Je cite un exemple qui pose un problème sémantique.

ひとの言うことは聞きなさい。Hito-no iu koto-wa kikinasaï

 La traduction théorique est "Ecoute ce que la personne te dit". Mais qui est cette personne? Dans la plupart des cas, la personne est l'énonciateur. Donc le sens de la phrase est "Ecoute ce que je te dis". Mais elle comporte une nuance plus ou moins imposante: "C'est la voix de la raison". C'est parce que le mot hito n'est pas seulement "moi", c'est-à-dire l'autre personne par rapport à l'interlocuteur, mais à la fois "les autres". La distinction entre "moi" et "les autres" est ambiguë, volontairement ou inconsciemment.
 D'ailleurs, l'explication populaire, voire erronée, que les Japonais donnent souvent comme l'origine du kanji est significative. Le caractère chinois 人 montre un homme debout. C'est la vraie origine, et je ne vois aucune raison de la compliquer davantage. Mais les Japonais préfèrent croire que ce kanji est fait de deux personnes, représentées par les deux traits qui s'appuient l'un sur l'autre. Et ils en tirent la morale: "On ne peut vivre tout seul". C'est probablement parce qu'ils doivent toujours trouver plusieurs personnes dans le mot hito, qui fait pourtant penser aux mots hitori (une personne) et hitotsu (une pièce). (On ne sait si ces mots possèdent le même étymon. Ce n'est qu'une hypothèse. Plusieurs savants au Moyen-Age ont tenté l'explication étymologique qui prétendait que l'espèce humaine était ce qui est unique (hitotsu) sous le ciel, mais je ne la trouve guère convaincante.)

dimanche 24 août 2008

いき(息) iki (souffle)

 La rencontre avec l'écriture chinoise fut malencontreuse pour la langue japonaise qui n'appartenait même pas à la famille des langues sino-tibétaines, mais les Japonais n'avaient pratiquement aucun choix, à cause de l'inexistence d'autres civilisations qui possédaient un système d'écriture dans le voisinage. Les caractères chinois sont un système qui convient seulement à la langue chinoise. La preuve éventuelle est que d'autres nations, coréennes ou vietnamiennes, ont rejeté ces idéogrammes à la longue pour adopter les lettres analytiques. Des linguistes disent que les Japonais sont le seul peuple qui ait réussi à "apprivoiser" les caractères chinois. Leur particularité est qu'ils ont utilisé ces kanji à la fois phonétiquement et sémantiquement.
 En japonais, il y a deux sortes de prononciations des caractères chinois: on'yomi et kun'yomi. La première est la prononciation théoriquement fidèle à celle chinoise au Moyen Age (vers le huitième siècle), et la deuxième la "traduction" de l'idéogramme en langue japonaise. On observe que l'élément "yomi" veut dire la lecture, non pas la prononciation, d'où on peut peut-être conclure que les caractères chinois restent quelque chose à déchiffrer, qui est toujours étranger à la langue japonaise. Pour le on'yomi (lecture phonétique), un kanji porte deux syllabes au plus en japonais, mais il peut y avoir jusqu'à cinq syllabes pour le kun'yomi (lecture sémantique) d'un seul signe. Un kanji peut avoir deux on'yomi selon l'époque d'importation (rarement trois, très exceptionnellement quatre), mais le nombre est théoriquement illimité pour le kun'yomi. (Voir N.B.)
 Dans la langue chinoise moderne, un caractère correspond à une syllabe, qui finit ou par la voyelle, ou par un nombre limité de consonnes: n, ng, r. Mais elle avait d'autres syllabes fermées au Moyen Age, qui finissaient par les consonnes: k, t, p. Le on'yomi japonais des kanji qui finissaient par le k ou le t est actuellement de deux syllabes, car le japonais qui n'a théoriquement pas de syllabes fermées a ajouté une voyelle après la consonne. (Pour le p, c'est une affaire autrement compliquée, que j'omets de mentionner ici.)
 Vous vous dites probablement que la langue japonaise a des syllabes fermées avec le n. Mais on peut dire que cette consonne est une syllabe à part indépendante pour le japonais (ou bien un temps, pour ceux qui pensent que le terme syllabe est abusé ici). La curieuse syllabe ん (n), a été inventée pour imiter la prononciation des Chinois. Si vous constatez que les Japonais prononcent les consonnes n, ng, m ou les voyelles nasales d'une façon étrange à vos oreilles, c'est que ces sons nasaux n'ont jamais été appropriés par les Japonais qui n'ont jamais cessé de les confondre.
 La lecture on'yomi du kanji 息 est soku. Cela veut dire que la prononciation originale était à peu près sok au Moyen Age. Mais le on'yomi d'un kanji ne veut presque rien dire en japonais, sauf pour les signes qui portaient une notion étrangère à la langue japonaise (par exemple, la lecture on'yomi de 愛 est , l'amour, ce qui veut dire que la notion abstraite de l'amour n'existait pas au Japon avant qu'il ne connaisse la civilisation chinoise). On trouve généralement le caracère chinois au on'yomi à côté d'un autre kanji au on'yomi. Par exemple, le mot 休息 (kyûsoku) veut dire le repos, dont les deux caractères sont du on'yomi. Un kanji au on'yomi porte un sens stable seulement accompagné d'un autre kanji. Un kanji appelle un autre kanji pour une stabilité comme les atomes ionisés. Ce phénomème linguistique trouve son origine dans la langue chinoise, dont la plupart des mots sont de deux signes, voire de deux syllabes pour les Chinois, qui sont assez souvent de quatre syllabes en japonais. Les mots à deux (ou trois) kanji au on'yomi sont des mots d'origine chinoise ou des mots que les Japonais ont inventés selon le modèle chinois.
 Le kun'yomi de ce kanji 息 est iki, qui veut dire le souffle. Un des problèmes majeurs de l'écriture de la langue japonaise est que ce kun'yomi, la traduction de l'idéogramme, brouille les yeux à l'origine des mots. Le mot japonais pour "vivre" est 生きる ikiru (le titre du film de Kurosawa), qui a la même origine que le souffle iki. Si on écrit ces mots en lettres latines, on n'a pas de difficulté à le reconnaître, mais ce n'est pas le cas pour les Japonais ordinaires, qui apprennent les mots avec idéogrammes.
 Le fils est 息子 (musuko) et la fille 娘 (musumé), dont la lecture sont du kun'yomi pour les deux mots. Les non Japonais qui apprennent le japonais reconnaissent facilement l'élément commun musu ("accoucher [donner la vie]" en ancien japonais), mais les Japonais ne sont pas du tout conscients de ce que ces deux mots ont le même étymon, d'autant que l'un est de deux signes et l'autre d'un seul.

N.B. On fabrique de nouveaux kun'yomi tous les jours, et la situation est désormais catastrophique. Les prénoms de nouveaux-né sont véritablement illisibles. Malheureusement, il n'y a pas de moyens pour déchiffrer le code de ces jeunes parents (qui ont souvent eu des difficultés aux écoles, c'est leur image du moins), donc il faut aller leur demander comment on doit lire le prénom de leur cher enfant. (C'est leur revanche à mon avis, car ils avaient la mauvaise note en japonais.) C'est pour une part la faute des publicitaires qui n'arrêtent pas de détruire le japonais. Par exemple, dans le cas du slogan du type "I・愛・YOU", le kun'yomi du kanji est bien sûr "LOVE". Ca ne m'étonne pas du tout qu'il y ait des petites filles qui s'appellent ainsi: 愛 (Love).

samedi 16 août 2008

ぞうとうひん(贈答品) zôtôhin (cadeaux)

 Les cadeaux ne font pas plaisir aux Japonais. Vous les aimez? Oui? Tant mieux, mais les Japonais ordinaires ne les aiment pas. Mais du tout.
 Le mot zôtôhin (贈答品) est assez difficile à traduire en français. Le premier caractère 贈 veut dire "faire un cadeau", le deuxième 答 "répondre", et le dernier 品 "article". Donc, cela veut dire des articles pour cadeaux et réponses. Il y a toujours un rayon important de zôtôhin dans les grands magasins. Ce qui tourmente les Japonais est le deuxième kanji: répondre.
  Par quoi doit-on répondre à un cadeau? Par un cadeau. Mais par quelle sorte de cadeau? Un cadeau au même prix! Donc, si vous recevez de quelqu'un un paquet de chocolat belge de 2,000 yens, vous devez lui rendre un assortiment de gâteaux du même prix. Alors, le donneur de cadeau laisse-t-il gentiment le prix sur le paquet au Japon? Mais non! ce serait trop malpoli! Il faut faire la recherche du prix tout seul. Mais puis-je lui rendre du chocolat belge, car je sais qu'il l'adore? Mais non! c'est lui qui vous a donné le chocolat, donc il faut que tu choisisses obligatoirement une autre chose! Cela se passe ainsi avec vos proches (beau-frère, voisins...).
 Il y a un autre code pour les cadeaux "de saisons". En été, les gens donnent des cadeaux qui s'appellent ochûgen (お中元) aux personnes à qui ils doivent pour telle ou telle raison pour leur montrer le remerciement. Et au mois de décembre, on donne le cadeau oseibo (お歳暮)dans l'autre direction. Il est bien possible qu'une secrétaire donne un petit cadeau à son patron comme un ochûgen, et que celui-ci lui réponde par un sac de Louis Vitton à la fin d'année (il ne s'agit pas de contrefaçon, mais les Japonais ont officiellement oublié le u). Ciel, doit-elle lui donner un cadeau aussi cher l'été prochain? Pas de panique, les Japonais passent l'éponge au réveillon, le compteur est remis à zéro. Ouf! (On peut tout de même constater une forte ressemblance avec la société primitive de l'océan pacifique étudiée par l'ethnologue Marcel Mauss.)
 Ainsi, les cadeaux ne plaisent-ils pas aux Japonais. Tous les cadeaux sont a priori empoisonnés. Comme il n'y avait pas de notion de cadeaux à l'occidentale auparavant, on utilise généralement le mot d'origine anglaise "present" pour les cadeaux que les Occidentaux comprennent. Alors à qui donne-t-on le "present"? Aux enfants par exemple. Il y a même des cadeaux de Noël pour eux, mais les Japonais n'ont pas besoin de regretter l'esprit de Noël, car Noël était une pure campagne commerciale dès le début. Une fois adulte, c'est fini, les cadeaux! Il faut qu'on commence à lire les arrière-pensées. C'est triste, mais c'est comme ça. Un proverbe japonais dit "Rien n'est plus cher que gratuit". La gratuité cache toujours une mauvaise surprise au Japon. J'ajoute que les cadeaux "collectifs" sont le moyen pour éviter le trouble. Si vous voulez donner un cadeau "gratuit" à quelqu'un, vous l'achetez avec quelqu'un d'autre.
 Si vous êtes résidant au Japon, vous avez le choix. Vous pouvez rester un étranger. Vous donnez des cadeaux aux Japonais comme vous voulez. Ne vous inquiétez pas, ils seront bien contents, car vous ne faites que séjourner au Japon. Les Japonais ne pensent pas à tenir avec vous une relation pareille à celle qu'ils ont avec leurs compatriotes. Si vous voulez vous intégrer bien dans la société japonaise, il faut que vous fassiez attention à ce que vous faites. Il ne faut jamais oublier de bien répondre aux cadeaux que vous avez reçus, et n'en donnez jamais à quelqu'un qui pourrait vous comprendre mal. Il est bien possible que votre cadeau gâche la relation. (Il pourrait raisonner "Ce cadeau qui a l'air excellent peut être un moyen pour couper les liens avec moi, car je ne pourrais pas lui en donner autant".)
 Ce n'est pas seulement pour les cadeaux. Par exemple, supposez que vous avez gardé l'enfant de votre voisin pendant la journée. Il veut vous payer et vous le refusez. Le voisin peut bien penser que vous n'acceptez pas l'argent parce que vous ne voulez plus vous rendre ce service. Quand on vous propose l'argent, vous devez le refuser une fois et puis l'accepter tout de suite.
 En tout cas, il y a bien des Japonais qui trouvent ces codes absurdes. Comme moi.

samedi 9 août 2008

やまとだましい(大和魂) yamatodamashii (âme japonaise)

 Le mot yamatodamashii (やまとだましい 大和魂) est un mot des plus problématique de la civilisation japonaise. C'est un mot composé de deux éléments: Yamato (大和) est l'ancien nom du Japon, et tamashii (魂) (le t est sonorisé en d par l'enchaînement) veut dire l'âme. C'est la notion clé des "études nationales" (philologie kokugaku) du 18e siècle, inaugurées par Kamo-no Mabuchi 賀茂真淵 (1697-1769), qui ont déterminé le nationalisme moderne. Il ne faut pas oublier que le Japon dont l'origine remonte à la période préhistorique a été réinventé à cette époque.
 L'âme japonaise yamatodamashii a été également réinterprétée par le savant MOTOORI Norinaga 本居宣長 (1730-1801), mais le mot avait un sens nettement différent du sens moderne. Je vais d'abord donner l'ancien sens, avant d'expliquer l'acception actuelle.
La notion du yamatodamashii était à l'opposé du karazaé (漢才) ou simplement zaé, esprit chinois (Kara veut dire la Chine, et zaé l'esprit). Les Japonais qui étaient conscients que leur civilisation était très jeune par rapport aux Chinois avaient un grand complexe envers eux. Zaé était considéré comme le corpus du savoir poétique et scientifique. Mais les Japonais au Moyen Âge voulaient croire qu'ils étaient meilleurs aux Chinois pour leur capacité d'exécution. Ils croyaient que leurs voisins continentaux possédaient bien le savoir, mais qu'ils ne savaient pas bien le mettre en exercice. Donc, le yamatodamashii voulait dire la capacité pratique des Japonais à l'opposé du savoir formel des Chinois.
 Mais les savants des "études nationales" du 18e siècle n'étaient pas contents de leurs compatriotes qui étaient toujours épris de la culture chinoise même cent ans après la fermeture des frontières. Ils voulaient trouver l'origine des Japonais avant la rencontre avec les Chinois, et ils ont redécouvert le mythe japonais, qui deviendra une réalité historique au milieu du 19e siècle. Cette fausse histoire du Japon a été reniée après la Seconde Guerre mondiale, mais certains y croient toujours.
 Pour ces érudits philologiques, le yamatodamashii a un peu changé de sens. Son antonyme est désormais plutôt le karagokoro, le coeur chinois (kokoro veut dire coeur). Le karagokoro est le coeur épris de la civilisation chinoise. Les philologues critiquaient ces gens qui ne cessaient d'imiter les Chinois. Le yamatodamashii n'est plus compris comme la capacité pratique, mais magokoro (le vrai coeur, c'est-à-dire la sincérité), difficilement expliqué par l'esprit scientifique zaé.
 Il y a un autre mot wakonkansaï (和魂漢才) qui est la forme composée de ces deux mots. Ce mot voulait dire au début le besoin de la capacité du jugement (yamatodamashii) qui accompagne les études (zaé). Il a également changé de sens après le 18e siècle. Il mettra en avant l'âme propre des Japonais largement inexpliquée. C'est le sens actuel de ce mot. C'est l'âme japonaise, mais elle est inexplicable.
 Depuis l'ère Meiji qui commence par l'intronisation improbable de l'empereur, les Japonais ont fait un autre mot à l'instar de wakonkansaï. Ce nouveau mot wakon'yôsaï (和魂洋才) veut dire "l'âme japonaise" avec "le savoir occidental". On a complètement oublié l'autre wakonkansaï dorénavant. Le savoir occidental manque forcément de profondeur parce qu'il peut être expliqué, mais l'âme japonaise est sublime parce que personne ne sait ce qu'elle est!
 Ainsi, les philologues du 18e siècle ont découvert l'essence de la nation japonaise comme "quelque chose d'inexplicable". Si les Japonais bien éduqués affirment sans vergogne assez souvent "C'est japonais, c'est inexplicable", c'est la faute à Mabuchi, c'est la faute à Norinaga.
 Je ne crois pas forcément que ces érudits n'ont fait que du mal à l'histoire du Japon moderne, mais leur yamatodamashii réinventé est bien le scandale de la pensée japonaise. Après les études très savantes et approfondies pendant plusieurs décennies, ils sont arrivés à la conclusion: ce qui est japonais est inexplicable. Et les nationalistes japonais peuvent rester sur cette conclusion sans que leur conscience soit aucunement troublée.

jeudi 7 août 2008

わかる wakaru (comprendre)

 La grammaire japonaise est souvent très mal expliquée. Il y a plusieurs raisons pour cela. D'abord, à l'époque où la linguistique comparée fleurissait, le japonais n'était pas une langue connue. Et puis, le japonais est "la langue nationale" (kokugo) pour les Japonais, et le milieu des études de cette langue est assez fermé. (On apprend la langue nationale aux écoles, et non pas le japonais. Ainsi, le point de vue comparatif ne peut-il être nourri.) Et enfin, les linguistes du kokugo ont la tendence de préférer la sémantique à la morphologie.
 On dit souvent que le verbe japonais wakaru veut dire "comprendre", mais ce n'est pas exact, car ce mot japonais est un verbe intransitif. Il y a un autre verbe rikaïsuru qui est transitif, mais ce mot est un mot hybride composé d'un élément d'origine chinoise rikaï (compréhension) et suru (faire). Il n'y a pas de mots "populaires" qui soient d'origine japonaise et transitifs pour ce sens. (Pour l'étymologie française, les mots populaires sont des mots qui existaient avant la renaissance qui a repris les mots savants du latin et du grec. Les mots d'origine chinoise sont des mots "savants" pour les Japonais.) Le verbe intransitif wakaru est difficilement traduisible en français.
 Si vous dites "Watashi-wa nihongo-ga wakarimasu" (私は日本語がわかります), la significatoin de la phrase est bien "Je comprend le japonais" (la négation est wakarimasen わかりません), mais ce n'est pas une traduction "grammaticale". Watashi-wa est le thème, et nihongo-ga est le cas sujet. La traduction à la lettre de la phrase doit être à peu près "Pour moi, le japonais se comprends (ou est compris)". Mais le mot comprendre ne traduit pas la vraie nuance de ce verbe.
 Wakaru est un mot qui a le même étymon que wakaréru, verbe intransitif qui veut dire "séparer" "quitter" (celui-là aussi est un intransitif qui porte un sens transitif pour les Français), wakéru, verbe transitif "distribuer", "partager". Ainsi le verbe wakaru montre une idée tout contraire du mot comprendre. L'inspiration est plutôt anatomique, si je me permets de le dire. Si les Français absorbent l'objet pour le comprendre, les Japonais le coupent pour cela. Wakaru signifie l'état où la chose est exposée tel un specimen d'anatomie bien dépecé et détaillé.
 Si vous connaissez des Japonais, il peut vous arriver de vous étonner de constater qu'ils possèdent parfois des informations énormes, mais presque triviales, et qu'ils ne savent pas pratiquer de raisonnements logiques. C'est parce que la compréhension n'exige pas de connaissances globales et vivantes pour eux, mais elle est remplacée par une collection des informations dépecées et détaillées, en un sens mortes, sans lien organique. Je crois que c'est la raison pour laquelle le savoir des Japonais ne parle pas aux autres. Cette mentalité est bien montrée par les gens appelés otaku. Ils collectionnent ce qu'ils aiment, mais leur collection est que dalle aux yeux des autres.
 Au fait, le mot d'origine chinoise rikaï (compréhension) porte la même origine "séparer" et "couper". Mais les Japonais sont convaincus (avec raison) que les Chinois sont plus "logiques" qu'eux. Je parlerai de ce sujet la prochaine fois.

mercredi 30 juillet 2008

はなす(話す) hanasu parler

 Ce qui me paraît vraiment extravagant dans l'histoire de la seconde moitié du 19e siècle est que le Grand Empire du Japon a presque réussi à faire croire sa fausse histoire idéologique aux Occidentaux: Le Japon existe depuis la nuit des temps. En réalité, le Japon est un nouveau venu par rapport à la Chine, et même à la Corée. Au moment de la rencontre des Japonais avec la culture chinoise d'à peu près il y a deux mille ans, la civilisation japonaise sans lettres était à peine naissante. La langue japonaise n'avait pas de vocabulaire varié, et c'était une langue plutôt simple. La connaissance de la Chine fut fatale pour le japonais. Il a complètement arrêté sa propre évolution, car on en avait plus besoin, vu que l'emprunt de la langue chinoise l'emportait bien sur la création de nouveaux mots japonais désormais. Ainsi, les mots élémentaires restent non différenciés, privés d'évolution en puissance.
 L'exemple parlant est le mot hanasu, verbe qui veut dire "parler" (la forme montrée dans le dictionnaire est l'indicatif, comme le latin et le grec). Phonétiquement, ce mot en trois syllabes veut dire également "lâcher" et "écarter". Mais les Japonais ne sont généralement guère conscients de cette homonymie, car ils utilisent les caractères chinois respectifs qui déterminent les sens spécifiques du mot. A l'origine, le mot hanasu montrait une notion ambiguë qui signifiait l'action d'éloigner quelque chose, mais l'emprunt des caractères chinois a rendu possible la spécification du sens. Pour le verbe parler, les Japonais écrivent 話す, mais ils utilisent d'autres kanji pour "lâcher" et "écarter": 放す et 離す. On pourrait dire que les Japonais ne sont pas friands de la discussion, puisqu'ils ne veulent pas lâcher leurs biens.
 D'ailleurs, un autre mot qui concerne la communication verbale possède un sens négatif, dont les Japonais ne sont pas forcément conscients pour la même raison. Le verbe kataru veut dire "raconter", quand il est écrit 語る (la partie gauche 言 montre que ce caractère appartient à la catégorie concernant la parole). Mais si on utilise un autre caractère 騙る, cela veut dire "escroquer". J'ai tendance à croire que les Japonais trouvent ou ont trouvé des côtés plus ou moins maléfiques dans la parole. (En français, le mot parler a la même origine que le diable.)
 On peut trouver cet élément kataru dans le mot monogatari, qui veut dire à peu près les "choses racontées". Il y a beaucoup de monogatari dans la littérature moyenâgeuse: Isé monogatari, Genji monogatari, Heiké monogatari. Le premier conte de l'histoire de la littérature japonaise est intitulée Takétori monotagari, qui parle de la princesse de la lune Kaguya.

vendredi 18 juillet 2008

びじゅつかん(美術館) bijutsukan

 Il y a deux sortes de musées au Japon. L'un est bijutsukan et l'autre hakubutsukan. Si on l'écrit en caractères chinois, le mot bijutsukan donne 美術館. Le mot bijutsu (美術) veut dire les Beaux-Arts, et le caractère kan (館) l'hôtel. Donc, le mot bijutsukan signifie à la lettre l'hôtel des Beaux-Arts. (Il faut que vous fassiez attention: Si l'élément kan veut dire l'hôtel, c'est seulement quand il fait partie d'un mot composé. Il n'y a pas de mot japonais kan qui veuille dire l'hôtel.)
 C'est le bijutsukan de ma "préfecture" d'Aomori.

 L'exposition du grand Napoléon est prévue pour le mois d'août.


 En revanche, le mot hakubutsukan est appliqué à tous les autres musées dont l'intérêt principal n'est pas forcément les Beaux-Arts. Ainsi, le Louvre est-il un bijutsukan et le British Museum un hakubutsukan. Le critère est assez flou, et on choisit l'un des deux mots assez arbitrairement, me semble-t-il.
 Le mot hakubutsu est ambigu, qui veut dire à la fois l'histoire naturelle et l'exposition. Un museum est bien un hakubutsukan, mais les grands bâtiments publics qui exposent les objets rares sont tous des hakubutsukan.
 Ce mot est écrit en kanji comme ceci: 博物館. Le dernier caractère kan est toujours l'hôtel. Si le deuxième kanji veut dire simplement "les choses", c'est le premier caractère qui cause l'ambiguïté. Il signifie "répandre", donc s'il porte un sens actif, c'est un hôtel pour "répandre les choses", mais s'il est passif, l'institution gère "les choses répandues", voire les choses universelles, qui sont sujettes aux études des sciences naturelles.
 Le mot pour les Beaux-Arts bijutsu (美術) est composé de deux caractères qui signifient respectivement "beauté" et "technique, art". En japonais, la beauté est bi. Les gens de Tôkyô ont tendance à prononcer bijitsukan au lieu de bijutsukan. Ainsi, la prononciation des Tokyoïtes n'est pas forcément correcte, même si le japonais standard a été forgé plus ou moins artificiellement sur le modèle du japonais de la région de Tôkyô.

mardi 15 juillet 2008

そうめん(素麺) sômen

 Le sômen est une nouille japonaise, qui peut être servi ou chaud ou froid en principe, mais il est plutôt considéré comme un plat d'été. La nouille est faite de farine de blé et la pâte est très fine et particulièrement blanche.

 Le soba est une nouille de sarrasin en revanche. Le zarusoba est particulièrement apprécié en été. Le mot zaru veut dire la corbeille, qui fait penser que le plat était auparavant servi sur ce récipient. Maintenant, il est présenté sur une sorte de claie de jonc ou de bambou (parfois en plastique...), souvent accompagné des algues séchées nori. On peut rencontrer tout de même le zarusoba servi sur le zaru.
 Le soba, s'il est servi chaud, est consommé pendant toute l'année, différemment du sômen dont l'image est liée à l'été. Il y a des restaurants populaires appelés sobaya, qui ne sont généralement pas spécialisés à ces nouilles. L'appellation signifie que cette nourriture est très appréciée par les Japonais. À mon avis, on mange plus souvent le sômen chez soi, que le soba qu'on consomme dans les restaurants.
 Les kanji utilisés pour écrire le mot sômen sont trompeurs. Il est composé de deux caractères chinois 素 (simple) et 麺 (nouille). Mais le premier kanji est un emprunt phonétique, qui ne garde pas son propre sens. A l'origine, ce mot aurait dû être écrit comme 索麺. L'idéogramme qui remplace 素 veut dire "corder". Le sens de ce mot n'est donc pas les nouilles simples, mais les nouilles étirées à la main (comme si on fabriquait les cordes). Peut-être a-t-on choisi le kanji qui signifiait "simple" pour une nuance de la fraîcheur.
 La lecture du mot 索麺 devrait être sakumen, altérée en saümen (さうめん) par la chute de la voyelle u après le k, et la transformation en voyelle de la consonne k en passant par la sonorisation en g: sakumen, *sakmen, *sagmen, saümen. Et puis, saümen change en sômen (そうめん). On a dû choisir l'autre kanji à ce stade. L'accent circonflexe signifie que la voyelle possède une longueur double. On prononce so-o-mè-n.
 L'autre nouille préférée des Japonais, râmen (ラーメン), est un plat chinois japonisé. Auparavant, le mot shinasoba (しなそば), soba de Chine, était utilisé pour le râmen, mais on l'entend de moins en moins fréquemment, car certains pensent que le mot shina (Chine) n'est pas politiquement correct au Japon après la Deuxième Guerre mondiale. À mon avis, si ce mot shina peut être senti comme un mot raciste envers les Chinois au Japon, il est assez ridicule de bannir cet élément des mots composés. (En japonais, le ch est prononcé comme le tch du mot tchèque. Le ch français ressemble plutôt au sh japonais dans la transcription Hepburn qu'on adopte conventionnellement pour l'écriture du japonais en lettres latines.)
 Il y a des gens qui disent que le shinasoba n'est pas la même chose que le râmen, prétendant que la soupe est différemment faite. Je ne sais donner de jugement là-dessus.