samedi 9 août 2008

やまとだましい(大和魂) yamatodamashii (âme japonaise)

 Le mot yamatodamashii (やまとだましい 大和魂) est un mot des plus problématique de la civilisation japonaise. C'est un mot composé de deux éléments: Yamato (大和) est l'ancien nom du Japon, et tamashii (魂) (le t est sonorisé en d par l'enchaînement) veut dire l'âme. C'est la notion clé des "études nationales" (philologie kokugaku) du 18e siècle, inaugurées par Kamo-no Mabuchi 賀茂真淵 (1697-1769), qui ont déterminé le nationalisme moderne. Il ne faut pas oublier que le Japon dont l'origine remonte à la période préhistorique a été réinventé à cette époque.
 L'âme japonaise yamatodamashii a été également réinterprétée par le savant MOTOORI Norinaga 本居宣長 (1730-1801), mais le mot avait un sens nettement différent du sens moderne. Je vais d'abord donner l'ancien sens, avant d'expliquer l'acception actuelle.
La notion du yamatodamashii était à l'opposé du karazaé (漢才) ou simplement zaé, esprit chinois (Kara veut dire la Chine, et zaé l'esprit). Les Japonais qui étaient conscients que leur civilisation était très jeune par rapport aux Chinois avaient un grand complexe envers eux. Zaé était considéré comme le corpus du savoir poétique et scientifique. Mais les Japonais au Moyen Âge voulaient croire qu'ils étaient meilleurs aux Chinois pour leur capacité d'exécution. Ils croyaient que leurs voisins continentaux possédaient bien le savoir, mais qu'ils ne savaient pas bien le mettre en exercice. Donc, le yamatodamashii voulait dire la capacité pratique des Japonais à l'opposé du savoir formel des Chinois.
 Mais les savants des "études nationales" du 18e siècle n'étaient pas contents de leurs compatriotes qui étaient toujours épris de la culture chinoise même cent ans après la fermeture des frontières. Ils voulaient trouver l'origine des Japonais avant la rencontre avec les Chinois, et ils ont redécouvert le mythe japonais, qui deviendra une réalité historique au milieu du 19e siècle. Cette fausse histoire du Japon a été reniée après la Seconde Guerre mondiale, mais certains y croient toujours.
 Pour ces érudits philologiques, le yamatodamashii a un peu changé de sens. Son antonyme est désormais plutôt le karagokoro, le coeur chinois (kokoro veut dire coeur). Le karagokoro est le coeur épris de la civilisation chinoise. Les philologues critiquaient ces gens qui ne cessaient d'imiter les Chinois. Le yamatodamashii n'est plus compris comme la capacité pratique, mais magokoro (le vrai coeur, c'est-à-dire la sincérité), difficilement expliqué par l'esprit scientifique zaé.
 Il y a un autre mot wakonkansaï (和魂漢才) qui est la forme composée de ces deux mots. Ce mot voulait dire au début le besoin de la capacité du jugement (yamatodamashii) qui accompagne les études (zaé). Il a également changé de sens après le 18e siècle. Il mettra en avant l'âme propre des Japonais largement inexpliquée. C'est le sens actuel de ce mot. C'est l'âme japonaise, mais elle est inexplicable.
 Depuis l'ère Meiji qui commence par l'intronisation improbable de l'empereur, les Japonais ont fait un autre mot à l'instar de wakonkansaï. Ce nouveau mot wakon'yôsaï (和魂洋才) veut dire "l'âme japonaise" avec "le savoir occidental". On a complètement oublié l'autre wakonkansaï dorénavant. Le savoir occidental manque forcément de profondeur parce qu'il peut être expliqué, mais l'âme japonaise est sublime parce que personne ne sait ce qu'elle est!
 Ainsi, les philologues du 18e siècle ont découvert l'essence de la nation japonaise comme "quelque chose d'inexplicable". Si les Japonais bien éduqués affirment sans vergogne assez souvent "C'est japonais, c'est inexplicable", c'est la faute à Mabuchi, c'est la faute à Norinaga.
 Je ne crois pas forcément que ces érudits n'ont fait que du mal à l'histoire du Japon moderne, mais leur yamatodamashii réinventé est bien le scandale de la pensée japonaise. Après les études très savantes et approfondies pendant plusieurs décennies, ils sont arrivés à la conclusion: ce qui est japonais est inexplicable. Et les nationalistes japonais peuvent rester sur cette conclusion sans que leur conscience soit aucunement troublée.

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