dimanche 24 août 2008

いき(息) iki (souffle)

 La rencontre avec l'écriture chinoise fut malencontreuse pour la langue japonaise qui n'appartenait même pas à la famille des langues sino-tibétaines, mais les Japonais n'avaient pratiquement aucun choix, à cause de l'inexistence d'autres civilisations qui possédaient un système d'écriture dans le voisinage. Les caractères chinois sont un système qui convient seulement à la langue chinoise. La preuve éventuelle est que d'autres nations, coréennes ou vietnamiennes, ont rejeté ces idéogrammes à la longue pour adopter les lettres analytiques. Des linguistes disent que les Japonais sont le seul peuple qui ait réussi à "apprivoiser" les caractères chinois. Leur particularité est qu'ils ont utilisé ces kanji à la fois phonétiquement et sémantiquement.
 En japonais, il y a deux sortes de prononciations des caractères chinois: on'yomi et kun'yomi. La première est la prononciation théoriquement fidèle à celle chinoise au Moyen Age (vers le huitième siècle), et la deuxième la "traduction" de l'idéogramme en langue japonaise. On observe que l'élément "yomi" veut dire la lecture, non pas la prononciation, d'où on peut peut-être conclure que les caractères chinois restent quelque chose à déchiffrer, qui est toujours étranger à la langue japonaise. Pour le on'yomi (lecture phonétique), un kanji porte deux syllabes au plus en japonais, mais il peut y avoir jusqu'à cinq syllabes pour le kun'yomi (lecture sémantique) d'un seul signe. Un kanji peut avoir deux on'yomi selon l'époque d'importation (rarement trois, très exceptionnellement quatre), mais le nombre est théoriquement illimité pour le kun'yomi. (Voir N.B.)
 Dans la langue chinoise moderne, un caractère correspond à une syllabe, qui finit ou par la voyelle, ou par un nombre limité de consonnes: n, ng, r. Mais elle avait d'autres syllabes fermées au Moyen Age, qui finissaient par les consonnes: k, t, p. Le on'yomi japonais des kanji qui finissaient par le k ou le t est actuellement de deux syllabes, car le japonais qui n'a théoriquement pas de syllabes fermées a ajouté une voyelle après la consonne. (Pour le p, c'est une affaire autrement compliquée, que j'omets de mentionner ici.)
 Vous vous dites probablement que la langue japonaise a des syllabes fermées avec le n. Mais on peut dire que cette consonne est une syllabe à part indépendante pour le japonais (ou bien un temps, pour ceux qui pensent que le terme syllabe est abusé ici). La curieuse syllabe ん (n), a été inventée pour imiter la prononciation des Chinois. Si vous constatez que les Japonais prononcent les consonnes n, ng, m ou les voyelles nasales d'une façon étrange à vos oreilles, c'est que ces sons nasaux n'ont jamais été appropriés par les Japonais qui n'ont jamais cessé de les confondre.
 La lecture on'yomi du kanji 息 est soku. Cela veut dire que la prononciation originale était à peu près sok au Moyen Age. Mais le on'yomi d'un kanji ne veut presque rien dire en japonais, sauf pour les signes qui portaient une notion étrangère à la langue japonaise (par exemple, la lecture on'yomi de 愛 est , l'amour, ce qui veut dire que la notion abstraite de l'amour n'existait pas au Japon avant qu'il ne connaisse la civilisation chinoise). On trouve généralement le caracère chinois au on'yomi à côté d'un autre kanji au on'yomi. Par exemple, le mot 休息 (kyûsoku) veut dire le repos, dont les deux caractères sont du on'yomi. Un kanji au on'yomi porte un sens stable seulement accompagné d'un autre kanji. Un kanji appelle un autre kanji pour une stabilité comme les atomes ionisés. Ce phénomème linguistique trouve son origine dans la langue chinoise, dont la plupart des mots sont de deux signes, voire de deux syllabes pour les Chinois, qui sont assez souvent de quatre syllabes en japonais. Les mots à deux (ou trois) kanji au on'yomi sont des mots d'origine chinoise ou des mots que les Japonais ont inventés selon le modèle chinois.
 Le kun'yomi de ce kanji 息 est iki, qui veut dire le souffle. Un des problèmes majeurs de l'écriture de la langue japonaise est que ce kun'yomi, la traduction de l'idéogramme, brouille les yeux à l'origine des mots. Le mot japonais pour "vivre" est 生きる ikiru (le titre du film de Kurosawa), qui a la même origine que le souffle iki. Si on écrit ces mots en lettres latines, on n'a pas de difficulté à le reconnaître, mais ce n'est pas le cas pour les Japonais ordinaires, qui apprennent les mots avec idéogrammes.
 Le fils est 息子 (musuko) et la fille 娘 (musumé), dont la lecture sont du kun'yomi pour les deux mots. Les non Japonais qui apprennent le japonais reconnaissent facilement l'élément commun musu ("accoucher [donner la vie]" en ancien japonais), mais les Japonais ne sont pas du tout conscients de ce que ces deux mots ont le même étymon, d'autant que l'un est de deux signes et l'autre d'un seul.

N.B. On fabrique de nouveaux kun'yomi tous les jours, et la situation est désormais catastrophique. Les prénoms de nouveaux-né sont véritablement illisibles. Malheureusement, il n'y a pas de moyens pour déchiffrer le code de ces jeunes parents (qui ont souvent eu des difficultés aux écoles, c'est leur image du moins), donc il faut aller leur demander comment on doit lire le prénom de leur cher enfant. (C'est leur revanche à mon avis, car ils avaient la mauvaise note en japonais.) C'est pour une part la faute des publicitaires qui n'arrêtent pas de détruire le japonais. Par exemple, dans le cas du slogan du type "I・愛・YOU", le kun'yomi du kanji est bien sûr "LOVE". Ca ne m'étonne pas du tout qu'il y ait des petites filles qui s'appellent ainsi: 愛 (Love).

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