mardi 30 septembre 2008

あし(足) ashi (pied)

 On ne peut jamais trop souligner que la rencontre des anciens Japonais avec la civilisation chinoise n'était pas forcément heureuse, au moins pour la langue japonaise. Tout comme le procédé pour fabriquer le vin doux comme le xérès, le mélange de deux civilisations à deux niveaux très différents a complètement arrêté la fermentation. Cette rencontre a rendu l'évolution du japonais impossible, au moment où il n'était pas encore bien développé.
 Par exemple, la langue japonaise n'a qu'un seul mot pour désigner les membres inférieurs: ashi (あし). Le mot veut dire ou le pied ou la jambe. Le vocabulaire n'était pas encore diversifié lorsque le Japon a connu la Chine, dont la civilisation était mille fois plus avancée. La langue chinoise possédait deux idéogrammes qui signifiaient respectivement le pied (足) et la jambe (脚). Les Japonais ne possédant pas leur propre système d'écriture devaient se contenter de traduire ces deux caractères avec le même mot japonais ashi.
 Désormais, les Japonais vivent un renversement étrange. On oublie pratiquement qu'il n'y avait qu'un seul mot pour désigner les membres inférieurs à l'origine, mais considère plutôt que ce sont des homonymes qui s'écrivent différemment, avec les deux idéogrammes, ce qui empêche la romanisation ou la suppression des kanji pour "moderniser" la langue japonaise. Tout en admettant qu'il n'y a pas de "si" dans l'histoire, j'imagine que, si les anciens Japonais n'avaient pas rencontré la civilisation chinoise il y a deux mille ans, ils auraient pu inventer un autre mot pour la jambe...
 L'exemple de ce mot n'est pas du tout une exception isolée. Les Japonais distinguent très souvent les prétendus homonymes avec les idéogrammes différents, qui n'ont rien à voir avec la logique intérieure de leur propre langue. Je peux dire que l'emploi du verbe pose beaucoup de problèmes aux non Japonais qui veulent apprendre cette langue. Par exemple, le mot kaésu peut être écrit au moins de deux façons: 返す et 帰す. Le premier veut dire "rendre, restituer", et le deuxième "renvoyer (qqn) (non pas dans le sens de "licencier")". Et assez souvent, la distinction est plus ou moins arbitraire. Les deux acceptions représentatives du verbe kiku sont "entendre (ou demander)" et "écouter", et les professeurs disent aux écoliers d'écrire le premier 聞く, et le second 聴く. Mais il faut dire que même les meilleurs écrivains ne respectent pas toujours cette règle scolaire, mais non pas grammaticale.
 Les substantifs ne posent pas moins de problèmes. L'exemple du mot kawa concernant l'enveloppe du corps n'est guère difficile à comprendre: 皮 est la peau, et 革 le cuir (en principe!) L'emploi de l'autre mot kawa qui veut dire rivière ou fleuve est plus délicat. 川 est un cours d'eau relativement moins important, et 河 est plus large que 川 (en principe!). Mais on n'utilise que le kanji 川 pour le nom géographique et administratif. Ces deux kawa (peau et fleuve) sont bien des homonymes, mais la subdivision, entre la peau et le cuir pour le premier, ne constitue pas une homonymie véritable.
 Mais que faire des mots comme machi (ville)? Il y a au moins deux kanji pour ce mot: 町 et 街. On peut dire que l'emploi du second est plus subjectif que le premier. 街 est une ville considérée dans l'importance de ses activités, tandis que 町 est probablement plus statique... On peut écrire tout le temps 町 en général, mais on utilise 街 pour souligner le côté urbain. Je dois dire que la distinction n'est qu'arbitraire.
 Ce qui m'embête le plus est les gens "cultivés" qui veulent imposer l'emploi correct des caractères chinois. Ils ne savent pas, ou veulent ignorer avec une persistance incompréhensible, que l'utilisation des kanji pour les mots d'origine japonaise n'est pas vraiment essentielle pour la langue japonaise. (Je ne parle pas ici des mots d'origine chinoise qui sont très nombreux dans notre langue. On a bien raison de les écrire avec caractères chinois.)

jeudi 18 septembre 2008

カリスマ主婦(かりすましゅふ) charisma-shufu (femme au foyer charismatique)

 Cette fois-ci, je vais parler d'un mot à la mode bien stupide: charisma-shufu, femme au foyer charismatique. Vous vous dites très probablement "Mais c'est contradictoire!" Pas tellement pour les Japonais.
 Tout d'abord, vous devez savoir que l'étymologie n'existe pas au Japon comme un domaine de linguistique. Vous cherchez en vain un dictionnaire étymologique de japonais dans la librairie. Donc, presque personne n'a dans la tête l'idée d'aller chercher l'origine de mot. Le néologisme, souvent censé être d'origine étrangère, est compris comme on l'entend.
 Pour le mot charisma également, ce n'est même pas la peine de dire que les Japonais se foutent complètement de son origine grecque. Ils connaissent le sens, mais ils ne gardent que l'admiration bien vague pour une personnalité. Mais ce qui compte est son caractère phonétique. Le mot est transcrit avec quatre katakana カリスマ (ka-ri-su-ma), ce qui est très heureux dans la langue japonaise qui adore faire des abbréviations en quatre syllabes. Ce mot sonne tout comme la forme abrégée de l'expression tout faite: kari-no sumaï, (séjour temporaire). Le mot qui commence par l'élément kari porte le sens de "temporaire, secondaire". Donc, ce mot d'origine grecque charisma est souvent ajouté aux fonctions et aux professions qui ne sont pas primaires, à ce qu'il me semble. Par exemple, j'ai vu à la télé un "détacheur charismatique" au nettoyage à sec. Le charisme au Japon est tout sauf charismatique. C'est bien le contraire. Très souvent, une personne "charismatique" n'est qu'un voisin sympathique au Japon.
 Mais que fait-elle, la femme au foyer charismatique? Bah, elle connaît plein d'astuces! Ménage, cuisine, tricot... La combinaison est bien heureuse, car le mot つま(妻) (tsuma) veut dire l'épouse. Pour le mot karisuma-shufu, la transition entre suma et shufu (femme au foyer) se fait sans aucune difficulté, bien que ce soit un mot composé de deux éléments hétéroclites, théoriquement parlant. Par contre, un sumotori charismatique, un joueur de go charismatique, un karatéka charismatique, ça n'existe pas. Un homme politique charismatique? Tu rigoles... Les personnes "charismatiques" doivent être comme les autres!
 Il y a pas mal de mots japonais prétendument d'origine étrangère. Mais c'est le feeling qui l'emporte sur le sens, les Japonais sont tellement feeling. Par exemple, on dit que le mot français "petit" fait beaucoup de succès comme une sorte de préfixe en japonais. Le mot est プチ (pu-chi), et il paraît que certains croient sérieusement que ce mot vient de la langue française. Mais moi, je n'ai aucun doute là-dessus: Ce mot n'est qu'une onomatopée bien japonaise. Les enfants appellent le papier bulles プチプチ (puchipuchi). Les Japonais pensent à quelque chose de petit en entendant le son "putchi", mais ce n'est jamais le son "peti" en français. Forcément, un Japonais qui a entendu les Français dire "petit, petit..." a introduit ce mot en japonais en affirmant que c'est un mot français, tout en pensant au papier bulles. Donc, ne dites pas aux Japonais que le féminin de l'adjectif "petit" est "petite". Ca ne les regarde pas, alors qu'ils prétendent que c'est un mot français. Ne désabusez pas notre feeling!

mercredi 3 septembre 2008

ひと(人) hito (homme)

  Hito est un mot des plus rudimentaire de la langue japonaise, mais c'est un mot bien complexe. Je donne les définitions du Grand Dictionnaire Shôgakukan. Ce mot neutre n'est pas antonyme du mot femme.
  1. Il signifie d'abord l'espèce humaine, homo sapiens. Il peut être aussi utilisé pour les extra-terrestres qui ont à peu près la même taille et la même capacité que les hommes.
  2. Homme qui vit dans la société. Homme comme le sujet de pensée, comportement et être. Personne, ou groupe de personnes. Les hommes en général. Les gens, voire le monde séculier. Peuple. Homme complet, adulte. Personne convenable pour réaliser un but. Conditions pour être un homme. Caractère, dignité, statut social. Autre homme par rapport au concerné. Autres. Entourage du concerné. Personne légale.
 J'omets l'emploi comme pronom. L'acception qui pose la question dans la communication est "les autres". L'altérité n'est pas une notion distincte dans la tête des Japonais. Il y a d'autres mots qui disent clairement l'autre homme comme tanin (他人) par exemple, mais ce mot d'origine chinoise n'est utilisé que pour souligner le peu de commerce avec la personne. Dans la plupart des cas, les Japonais préfèrent utiliser ce mot ambigu hito pour désigner les autres.
 Je cite un exemple qui pose un problème sémantique.

ひとの言うことは聞きなさい。Hito-no iu koto-wa kikinasaï

 La traduction théorique est "Ecoute ce que la personne te dit". Mais qui est cette personne? Dans la plupart des cas, la personne est l'énonciateur. Donc le sens de la phrase est "Ecoute ce que je te dis". Mais elle comporte une nuance plus ou moins imposante: "C'est la voix de la raison". C'est parce que le mot hito n'est pas seulement "moi", c'est-à-dire l'autre personne par rapport à l'interlocuteur, mais à la fois "les autres". La distinction entre "moi" et "les autres" est ambiguë, volontairement ou inconsciemment.
 D'ailleurs, l'explication populaire, voire erronée, que les Japonais donnent souvent comme l'origine du kanji est significative. Le caractère chinois 人 montre un homme debout. C'est la vraie origine, et je ne vois aucune raison de la compliquer davantage. Mais les Japonais préfèrent croire que ce kanji est fait de deux personnes, représentées par les deux traits qui s'appuient l'un sur l'autre. Et ils en tirent la morale: "On ne peut vivre tout seul". C'est probablement parce qu'ils doivent toujours trouver plusieurs personnes dans le mot hito, qui fait pourtant penser aux mots hitori (une personne) et hitotsu (une pièce). (On ne sait si ces mots possèdent le même étymon. Ce n'est qu'une hypothèse. Plusieurs savants au Moyen-Age ont tenté l'explication étymologique qui prétendait que l'espèce humaine était ce qui est unique (hitotsu) sous le ciel, mais je ne la trouve guère convaincante.)