samedi 20 décembre 2008

たち -tati [-tachi]

 Pourquoi les Japonais ont-ils perdu la guerre contre les Américains?
 La réponse est claire et simple: C'est parce qu'il n'y a pas de "pluriel" dans la langue japonaise! C'est une langue arriérée!
 Les profs répétaient cette histoire dans les écoles. Pendant la guerre, l'alarme au bombardement disait 敵機来襲! 敵機来襲! (Tekki raïsyû [raïshû]! Attaque d'avion ennemi!) Comment aurait-on su le nombre d'avions comme ça? N'y a-t-il qu'un bombardier qui arrive ou y en a-t-il plusieurs qui viennent? On ne l'a jamais su! C'est la raison de notre défaite! Ouais, c'est vraiment trop évident...
 Ainsi, le complexe infantile sur le manque de distinction singulier-pluriel est-il incrusté dans la tête des Japonais d'après-guerre. Certains s'aperçoivent du ridicule, mais d'autres pas du tout. Ceux-ci sont complètement inconscients de ce problème, et ils sont probablement beaucoup plus nombreux que les gens qui ont l'aversion à l'abus du suffixe -tachi, le moyen efficace pour faire la forme du pluriel selon ces Nouveaux Japonais, qui ne comprennent d'ailleurs pas que ce suffixe ne serve pas du tout à montrer la différence entre deux bombaridiers et cent bombardiers. 敵機たち来襲! (Tekki-tati raïsyû [Tekki-tachi raïshû], attaque des avions ennemis!) ne ferait que rire... C'est du japonais américanisant... (Malheureusement, les Japonais ont perdu la guerre contre les Américains. Si ç'avait été avec les Français, on aurait pas entendu la différence entre le singulier et le pluriel, à moins qu'on n'ait été attaqué par les chevaux.)
 Je n'ai jamais fait la recherche là-dessus, mais je suppose que ces gens-là prononcent -wo pour la particule を (-o), tellement qu'ils veulent angliciser (voire américaniser) le japonais. Si la langue japonaise ne montre généralement pas la distinction entre le singulier et le pluriel, ce n'est ni un manque ni un défaut par rapport à l'anglais...
 Pour moi, ce sont les deux grands phénomènes qui sont vraiment lamentables concernant la langue japonaise d'après-guerre: l'abus de -tachi et la prononciation -wo. C'est du japonais franchement laid. Quant à l'expression comme 彼女たち (kanozyo-tati [kanojo-tachi]), je peux la tolérer tant qu'elle reste dans la classe pour la "version" (pour les nippophones). Mais ce n'est pas du japonais standard! Bon, la langue évolue (ou s'altère...)
 Je pourrais accepter -tachi ajouté aux personnes à la rigueur. Mais c'est quoi, ces mots-ci? 雲たち (kumo-tati [kumo-tachi], nuages)、鳥たち (tori-tati [tori-tachi], oiseaux)、犬たち (inu-tati [inu-tachi], chiens)、歌たち (uta-tati [uta-tachi], chansons) 、ことばたち(kotoba-tati [kotoba-tachi], mots)... Ce sont des exemples ridicules et stupides qu'il ne faut pas imiter. En plus, certains les trouvent poétiques, c'est exagéré! Les cas les plus graves sont uta-tati [uta-tachi] et kotoba-tati [kotoba-tachi], car ce sont des être inanimés, et abstraits en plus. Si vous voulez faire absolument comme les Japonais contemporains, vous pouvez imiter jusqu'à 鳥たち、犬たち, mais jamais 歌たち!
 Il est vrai que MURANO Sirô [Shirô] (1901-1975), le grand poète qui représente le mouvement du "modernisme" littéraire, ait écrit un poème intitulé 雲たちの衣裳 (Kumo-tati-no isyô [Kumo-tachi-no ishô], Les Habits des nuages), mais c'était une métaphore anthropomorphique. Elle peut être poétique dans la mesure qu'on voit les êtres animés dans les nuages (pourtant, je trouve cette expression peu heureuse de toute façon). Par contre, l'exemple de TAKIGUTI Syûzô [TAKIGUCHI Shûzô] (1903-1979), poète-artiste qui a beaucoup d'admirateurs mais que je n'apprécie pas du tout, a fait l'expression 苦しむ鳥たち (Kurusimu tori-tati [Kurushimu tori-tachi], Oiseaux souffrants), et c'est bien le début de l'abus soi-disant poétique! Ce suffixe n'a pas du tout sa place ici. (Il est possible que mon jugement soit partial.)
 Vous pouvez mettre le suffixe -tati [-tachi] au mot seulement quand il est indispensable. Par exemple, il faut faire la distinction entre 私 (watasi [watashi], moi) et 私たち (watasi-tati [watashi-tachi], nous). Mais on peut dire également 我々 (waréwaré) ou 私ら (watasi-ra [watashi-ra]) pour dire "nous"...
 Là, je m'adresse aux francophones qui maîtrisent très bien le japonais: Il vaut mieux que vous vous demandiez chaque fois si le suffixe -tati [-tachi] est vraiment nécessaire pour éviter la confusion. Dans la plupart des cas, -tati [-tachi] n'est qu'un ajout grotesque à mon avis.
 L'emploi de ce suffixe -tati [-tachi] était originairement réservé pour montrer le respect aux nobles.  Les personnes nées jusque dans les 1920 ont appris à l'école qu'il ne fallait pas mettre -tati [-tachi] si le respect s'avérait déplacé. Par conséquent, il fallait dire 私ら (watasi-ra [watashi-ra]) ou 私ども (wata[ku]si-domo [wata[ku]shi-domo]) au lieu de 私たち (watasi-tati [watashi-tachi]). Même maintenant, quand on veut se montrer modestes (pour parler aux clients par exemple), on ne dit guère watasi-tati [watashi-tachi], mais watakusi-domo [watakushi-domo]. (Je me demande parfois si la méthode de japonais est là pour piéger les non Japonais qui veulent apprendre cette langue...)
 Pour Le Grand Dictionnaire Japonais de Syôgakukan [Shôgakukan] (en 20 tomes, rien à voir avec Le Shôgakukan-Robert), le premier emploi de ce suffixe est pour "dieux, empereurs et nobles". Ensuite, la valeur a dégradé pour montrer le respect léger. Et enfin, le troisième emploi est dénué de respect, ce qui permet les expressions comme watasi-tati [watashi-tachi] ou kimi-tati [kimi-tachi] (vous). Le mot tomo-dati [tomo-dachi] (ami), qui n'est pas considéré comme le pluriel, peut être mis dans cette catégorie. Le Grand Syôgakukan [Shôgakukan] accepte l'anthropomorphisation des animaux. Mais d'autres emplois sont toujours fautifs.
 J'admets que je parle comme un puriste. Mais je crois que les non Japonais doivent apprendre le japonais plus ou moins puriste. D'ailleurs, vous n'avez aucun besoin de parler expressément le japonais qui énerve les personnes âgées. Mais contradictoirement, dans la situation actuelle où il n'y a pas encore de bonnes méthodes pour apprendre cette langue, il est très difficile de comprendre ce que c'est que le bon japonais. Il faut impérativement recourir à ce maudit suffixe quand vous faites le "thème" (pour les francophones). Mais vous devez savoir que l'emploi systématique de -tachi n'est pas dans le registre du japonais normal.
 Je cite un exemple. Il vaut mieux éviter de dire 彼女たち kanojo-tachi, si vous voulez parlez le bon japonais. Déjà, l'emploi des "pronoms" comme 彼 karé et 彼女 kanozyo [kanojo] n'est pas vraiment normal, à part dans la traduction ou pour dire "petit(e) ami(e)" comme un mot familier. Si on remplace ce mot par 女の子 onna-no-ko (jeunes filles), vous n'avez pas besoin de mettre -tati [-tachi] dans la plupart des cas, à moins que vous ne teniez à préciser que c'est le pluriel. Pour le mot comme 女子学生 zyosi-gakusei [joshi-gakusei] (étudiantes), franchement, je ne vois aucune nécessité d'ajouter -tati [-tachi], mais j'entends zyosi-gakusei-tati [joshi-gakusei-tachi] même dans les émissions de NHK, là où il est déplacé de souligner le nombre. C'est consternant pour moi, mais je dois dire qu'une bonne partie des Japonais n'y voit plus aucun problème. En tout cas, j'ai raison de le souligner, car un bon prof de français ne dit jamais à ses élèves non francophones que la capitale de la Belgique est "Brukselles", même si 90% des Français prononcent ainsi.

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